Confrontée à un procès, la mission gouvernementale française de lutte contre les sectes republie son rapport annuel en y incluant une réponse de l’Église de Scientology.
par Massimo Introvigne
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Des touristes du monde entier se rendent à Caen, ville française située en Normandie, pour admirer ses rues et ses bâtiments médiévaux, mais aussi pour goûter à sa spécialité culinaire de renommée internationale, les tripes « à la mode de Caen ».
Il existe cependant un groupe de personnes qui souhaitaient désespérément éviter de visiter Caen. La MIVILUDES, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, est une institution gouvernementale française particulière qui soutient et propage officiellement l’idéologie antisectes. Elle publie des rapports annuels qui contiennent généralement des erreurs factuelles, des statistiques erronées et des calomnies à l’encontre des mouvements qu’elle a décidé de qualifier de « sectes ».
Certains des mouvements visés par la MIVILUDES tendent évangéliquement l’autre joue, mais pas tous. En tant qu’Italien, je me souviens des paroles de notre Premier ministre Giulio Andreotti, catholique pratiquant. Lorsqu’on lui demandait pourquoi il poursuivait en justice ceux qui l’avaient calomnié au lieu de pardonner, il répondait que lorsqu’il nous incitait à tendre l’autre joue, Jésus avait certainement considéré que nous n’avions que deux joues. À partir de la « troisième joue », il n’est pas interdit de réagir.
Ce qui est arrivé à la MIVILUDES, c’est que certaines de ses victimes ont commencé à intenter des actions en justice. L’une d’entre elles, l’Église de Scientology, a demandé que sa réponse aux allégations contenues dans le document de la MIVILUDES soit publiée à l’intérieur ou à la fin du rapport sur le site Internet de la MIVILUDES. Cette demande se fondait sur la loi française sur le droit de réponse, c’est-à-dire le droit de se défendre contre une critique publique au même endroit que là où elle a été publiée. La MIVILUDES n’ayant pas publié la réponse de la Scientology dans un délai raisonnable, la Scientology a déposé un référé devant le tribunal de Caen, demandant que la MIVILUDES soit contrainte de publier la réponse. L’audience fut fixée au 4 mai.
Mais tripes ou pas, la MIVILUDES n’a pas souhaité se rendre à Caen. Peut-être qu’en tant qu’organisme peu sensible à la religion, elle n’a pas apprécié que les tripes à la mode de Caen aient été inventées par un moine bénédictin, Sidoine Benoît. Ou peut-être que son ancien président et actuel membre de son Conseil d’orientation, Georges Fenech, a déjà eu une mauvaise expérience à Caen, où il a été condamné en 2019 pour atteinte à la présomption d’innocence de l’Église de Scientology. Fenech préfère d’autres destinations touristiques que Caen, notamment la Crimée, où il s’est rendu en 2019 pour rencontrer Vladimir Poutine et cautionner l’occupation de cette région ukrainienne par les forces russes, occupation que le gouvernement français et l’Union européenne considèrent comme illégale.


Pour éviter le douloureux voyage à Caen, la MIVILUDES a fait une chose qui devrait être normale dans tout pays démocratique mais qui n’est pas typique de son mode de fonctionnement. Avant la date de l’audience, elle a republié son dernier rapport annuel en y incluant la réponse de l’Église de Scientology. Cette réponse figure dans les toutes dernières pages de cette extraordinaire « deuxième édition » du rapport de la MIVILUDES.
Il s’agit d’une réponse de bon sens, qui met l’accent sur le fait que les références à la Scientology dans le rapport ne constituent pas des « dérives sectaires », même en acceptant ce concept typique de la MIVILUDES considéré avec désapprobation par les principaux spécialistes des nouveaux mouvements religieux. La réponse note que « l’Église [de Scientology] est péjorativement qualifiée de “multinationale de la spiritualité”. Il est vrai que, comme beaucoup d’autres religions, l’Église de Scientology a une dimension internationale : ses fidèles sont présents dans plus de 150 pays à travers le monde. Mais quelle est donc la différence avec d’autres religions tels que le Catholicisme, l’Islam, ou encore le Bouddhisme, par exemple ? Pourquoi l’Église de Scientology fait-elle l’objet d’un traitement différencié en étant affublée d’une désignation à connotation commerciale, alors que de nombreux pays, en Europe et dans le monde, reconnaissent qu’elle est une religion comme une autre ? »
La réponse critique ensuite le système des « saisines », c’est-à-dire la méthode utilisée par la MIVILUDES pour évaluer la dangerosité d’une « secte » sur la base d’un certain nombre de signalements à son encontre que tout un chacun peut envoyer à l’agence via un formulaire en ligne. « Pour justifier l’inclusion de notre Église dans le rapport d’activités, la MIVILUDES avance en pages 35 et 38 le chiffre de “33 saisines” reçues en 2022 au sujet de l’Église de Scientology, sans que l’on ne sache rien du contenu de ces “saisines”, ni même de ce concept opaque de “saisine” (une simple demande d’information concernant notre Église constitue-t-elle une saisine ?). Par ailleurs, chacun pourra apprécier le traitement spécial qui est réservé à l’Église de Scientology dans le rapport d’activité, sans raison apparente : 33 “saisines” suffisent à la MIVILUDES pour consacrer 4 pages de son rapport à l’Église de Scientology (pages 58 à 61 du rapport) et pour la mentionner 51 fois. C’est bien plus que tous les développements cumulés consacrés à la mouvance chrétienne dans son ensemble (catholicisme, protestantisme et évangélisme), laquelle a pourtant fait l’objet… de 293 saisines ! Le rapport d’activité témoigne ainsi d’une très curieuse conception du principe d’impartialité de l’administration et de neutralité de l’État à l’égard des cultes. »
Après avoir critiqué la méconnaissance par le rapport de ce qu’est la théologie de la Scientology, la réponse aborde le cas de l’ouverture d’une nouvelle église de Scientology à Saint-Denis. « Si, à ce sujet, la MIVILUDES fait mention de l’annulation de l’arrêté municipal qui tentait d’entraver les travaux nécessaires à l’ouverture du bâtiment, elle oublie de préciser que l’État a aussi été condamné par la Cour Administrative d’Appel de Paris, en même temps que la mairie. Le rapport s’efforce de minimiser cette condamnation en indiquant simplement que les autorités doivent se fonder “sur des considérations strictement légales et objectives, sans aucun a priori péjoratif affiché vis-à-vis du mouvement”. C’est une manière pudique de soigneusement éviter le fait que les juges administratifs ont condamné l’administration pour un détournement de pouvoirs commis au préjudice de l’Église, c’est-à-dire la plus grave violation entachant l’action administrative. On ne peut que déplorer que la MIVILUDES ne se désolidarise pas franchement d’agissements gravement attentatoires à l’État de droit car le respect des lois fait partie du respect de la République et des grands principes qui la fondent. »
La réponse note que le rapport présente les activités de prosélytisme et la distribution de tracts et de brochures comme des « dérives sectaires » alors qu’elles font partie de l’exercice normal de la liberté religieuse par toute religion. « L’allégation selon laquelle l’Église semble cibler des personnes fragiles, en souffrance, confrontées à des drames personnels ou à des questions existentielles », ajoute la réponse, « est encore une fois une vue de l’esprit qui n’a aucune réalité : la Scientology est universelle et s’adresse à toutes et à tous, comme cela se reflète dans le profil des fidèles de par le monde, qui appartiennent à toutes les catégories socio-professionnelles. » L’Église de Scientology est accusée à la fois de mener une propagande massive en diffusant ses idées en ligne et hors ligne et de faire preuve de secret et de « manque de transparence », ce qui semble contradictoire.


Le rapport de la MIVILUDES, note la réponse, fait la publicité d’une bande dessinée intitulée « La boîte à bulles », publiée en 2005 par un ex-membre mécontent de la Scientology, et l’ouvrage est « cautionné par la MIVILUDES car il fait partie des lauréats de son appel à projet 2021. » Le rapport, selon la réponse, « tend à le crédibiliser en le présentant comme un véritable “témoignage”, alors que rien ne permet de vérifier son authenticité. Que ce récit émane réellement d’une ancienne fidèle ou non, son ton artificiellement dramatique, façon “thriller” digne d’un scénario hollywoodien a pour effet de porter atteinte à la réputation et à l’image de l’Église, ainsi qu’au sentiment religieux de ses fidèles qui ne se reconnaissent pas du tout dans ce récit. Ceci est d’autant plus dommageable que le rapport revendique la large diffusion assurée à cet ouvrage avec la bénédiction d’un organisme étatique. »
Enfin, la réponse mentionne que le rapport de la MIVILUDES « prétend aussi que “la vigilance de certains requérants a permis de contrecarrer de potentiels captations de patrimoine par l’Église de Scientologie” ». Cependant, « cette affirmation n’est étayée par aucune source mentionnée et […] il est donc impossible de savoir sur quels prétendus faits elle se fonderait ».
Il est clair, conclut la réponse, que la MIVILUDES n’a trouvé aucune « dérive sectaire » dans les activités de l’Église de Scientology, même selon sa propre définition controversée de la notion. Ayant décidé a priori que la Scientology est une « secte », toutes ses activités, qui seraient considérées comme absolument normales si elles étaient pratiquées par une autre religion, sont automatiquement qualifiées de « dérives sectaires ». Il s’agit là d’une logique circulaire et erronée, qui ne peut qu’aboutir à la discrimination et à la calomnie.