Outre la méthodologie contestable dont elle est coutumière, la MIVILUDES inclut délibérément de fausses informations dans son rapport.
par Massimo Introvigne
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Chaque année, à peine viennent-ils de recevoir le Beaujolais nouveau, un vin rouge mis sur le marché quelques semaines après les vendanges, que les Français reçoivent le rapport annuel de la MIVILUDES, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Cette année, le rapport de la MIVILUDES arrive en novembre, avec un peu d’avance sur le Beaujolais nouveau. Il ne reste qu’à espérer que ce vin populaire sera de meilleure qualité.
Le rapport de 2021, publié en 2022, comporte une nouveauté qui a échappé à la majorité des médias français. Ces derniers signalent tous une augmentation record des «saisines» de 33% par rapport à 2020 et de 86% par rapport à 2015. Leur nombre s’élèverait à 4 020 en 2021. Les «saisines» désignent les recours envoyés par voie postale ou électronique à la MIVILUDES, afin de dénoncer une «dérive sectaire». Elles constituent le fondement principal de son activité.
Cependant, les médias ont omis de mentionner l’avis récemment rendu par la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) daté du 15 mai 2022, en réponse à la requête d’un avocat en vue d’obtenir une copie de toutes les «saisines» reçues par la MIVILUDES depuis 2015, au sujet des Témoins de Jéhovah. La MIVILUDES a objecté que les «saisines» ne comprenaient pas seulement des «signalements» relatifs à quelque faute spécifique, mais également de simples commentaires, des échanges institutionnels et des demandes d’avis émanant de particuliers.
Bitter Winter n’a de cesse d’objecter que, de manière générale, l’existence des auteurs de ces saisines n’est pas vérifiée, encore moins la véracité de leur contenu. Pour corroborer ses affirmations, Bitter Winter évoque le cas d’une universitaire américaine qui est parvenue à enregistrer une «saisine» auprès de la MIVILUDES, en la signant du nom de Napoléon Bonaparte. Dans l’affaire de la CADA, la MIVILUDES elle-même reconnaît que les saisines ne font pas l’objet de vérifications, et que le nombre de saisines ne correspond pas aux plaintes déposées contre les «sectes».
Aux plus récalcitrants qui, en dépit de l’avis de la CADA, insisteraient pour que les «saisines» soient prises au sérieux, rappelons que ce rapport n’aboutit qu’à un seul constat : un nombre dérisoire de français s’interroge ou soulève des objections sur les groupes que la MIVILUDES considère comme les plus dangereux. En effet, sur les 65 millions de citoyens français, seuls 99 ont envoyé des «saisines» concernant les Témoins de Jéhovah, et à peine 33 sur la Scientologie. Ces chiffres ne peuvent donc être qualifiés d’«augmentation record», même en supposant que toutes ces «saisines» soient authentiques.
Autre nouveauté du rapport 2022, il se prévaut du soutien de représentants des grandes religions qui, ayant rédigé quelques platitudes, espèrent peut-être conforter leur position face à une concurrence agaçante, mais aussi échapper à d’éventuelles investigations sur la question omniprésente des «dérives sectaires». Ce rapport reçoit aussi l’aval d’ «experts» issus des milieux journalistique et médical, ainsi que l’appui d’un seul sociologue, connu et respecté certes, mais qui n’est en aucun cas spécialiste des nouveaux mouvements religieux.
Une fois de plus, la méthodologie de la MIVILUDES, qui repose sur les «saisines» ainsi que sur sa posture discriminatoire traditionnelle, génère un cercle vicieux : partant du principe que les «sectes» sont nuisibles, la MIVILUDES suggère que certaines activités tout à fait légales devraient être proscrites ipso facto dès lors qu’elles sont pratiquées par ces mouvements. À titre d’exemple, il est de notoriété publique que les citoyens français s’insurgent souvent contre les abus perpétrés dans les établissements de santé, y compris dans les hôpitaux psychiatriques, et force est de constater que certains de ces abus sont bien réels. Néanmoins, lorsque les Scientologues protestent contre les abus psychiatriques, leur démarche devient une «dérive sectaire» et ce, même s’ils ont raison, ce qui en l’occurrence, n’a pas d’importance pour la MIVILUDES.
En France, tout patient adulte a le droit de refuser un traitement, même si cela va à l’encontre de l’avis des médecins. Cependant, lorsqu’un Témoin de Jéhovah refuse une transfusion de sang en vertu de son interprétation de la Bible, la MIVILUDES insinue que le corps médical pourrait lui ôter ce droit en raison de «l’emprise» que sa religion exerce sur lui.
Selon la MIVILUDES, «l’omniprésence de la doctrine jéhoviste (un adjectif péjoratif qui n’est jamais employé par les Témoins de Jéhovah eux-mêmes) au sein d’un mouvement replié sur lui-même, assortie d’une telle immixtion dans le processus de prise de décision médicale est de nature à vicier tout consentement du malade». En d’autres termes, les médecins pourraient, à juste titre, ignorer la décision du patient.
La MIVILUDES n’a peut-être pas réfléchi à toutes les implications d’un tel raisonnement. Prenons le cas d’une patiente catholique ou évangélique qui refuserait l’avortement pour raisons religieuses, contre l’avis motivé des médecins et des psychologues. Elle serait également sujette à «l’immixtion» de son Église, ainsi qu’à «l’omniprésence» d’une doctrine relative au caractère sacré de la vie. Devrait-elle être forcée à avorter ?
Suite à l’adoption de la loi controversée sur le séparatisme en 2021, la MIVILUDES ajoute à son interminable liste d’accusations contre les «sectes» le fait que ces groupes vivent indépendamment de la République française et de ses lois. Ce faisant, la MIVILUDES se livre précisément à ce que le Conseil constitutionnel redoutait lors de l’examen du projet de loi, à savoir que tout mode de vie marginal soit perçu comme une forme de «séparatisme» et fasse l’objet d’un acharnement policier et administratif.
Le rapport cite un exemple frappant de cette dérive dans la section consacrée à «La Famille», un groupe catholique dissident qui existait paisiblement à Paris depuis 200 ans lorsqu’un ancien membre apostat l’a dénoncé à la MIVILUDES et aux médias. La MIVILUDES admet que «La Famille» n’enfreint aucune loi. Cela étant, son mode de vie étrange et singulier, susceptible de glisser vers le «séparatisme» et «la dérive sectaire», justifierait une «vigilance». La MIVILUDES se montre également suspicieuse vis-à-vis d’autres groupes paisibles tels que l’Anthroposophie et les Frères de Plymouth, confirmant sa posture intolérante envers les modes de vie marginaux.
En outre, il est difficile de comprendre pourquoi les Témoins de Jéhovah et la Scientologie sont ironiquement appelés «multinationales de la spiritualité», une étiquette qui pourrait tout autant être appliquée à l’Église catholique romaine, et à bien d’autres religions. En outre, La MIVILUDES s’obstine à perpétuer la confusion entre le système judiciaire des Témoins de Jéhovah, dans lequel les comités de discipline religieuse décident de l’excommunication de leurs membres pour faute grave, et les relations qu’ils entretiennent avec la Justice. Des experts et des tribunaux du monde entier ont déjà clarifié cette question à maintes reprises, y compris dans d’innombrables affaires concernant les Témoins de Jéhovah.
Aucun gouvernement ne peut s’immiscer dans le fonctionnement du système judiciaire d’une religion, sans attenter à la liberté religieuse. Cependant, cette non-ingérence de l’État doit être distinguée du devoir des religions de rapporter toute infraction aux autorités, lorsque la loi l’exige. En effet, les deux systèmes, religieux et laïc, traitent un même délit sous des angles différents et, de ce fait, rendent des verdicts distincts. Pourtant, aussi irrationnel que cela paraisse, la MIVILUDES persiste à répéter que les Témoins de Jéhovah manifestent une «volonté de se substituer à la Justice» à travers leurs comités de discipline religieuse.
Le même reproche pourrait être adressé à l’Église catholique dont les tribunaux appliquent le droit canonique, mais aussi aux tribunaux rabbiniques et à de multiples institutions similaires. Leur objectif est différent de celui des tribunaux séculiers, y compris lorsqu’ils instruisent les mêmes affaires. Pour un même délit, un tribunal religieux pourrait excommunier un croyant, alors qu’un tribunal séculier l’enverrait en prison. Quelle qu’en soit la raison, la MIVILUDES a encore du mal à se rendre à cette évidence.
Dans la section consacrée aux Témoins de Jéhovah, le rapport fait preuve par deux fois d’une démarche qui devrait alerter les citoyens français autant que les tribunaux : la diffusion délibérée d’informations fallacieuses et calomnieuses par une agence gouvernementale. Je n’utilise pas ces mots à la légère. En effet, pour étayer son argumentation visant à démontrer que les comités de discipline religieuse interfèrent indûment avec la Justice, le rapport déclare : «En Belgique, pour ne citer qu’elle, au moins 90 cas de pédocriminalité au sein des Témoins de Jéhovah ont été recensés récemment par la police, alors même que ces cas auraient été connus depuis longtemps par le mouvement».
En guise de source, figurait un article du magazine Marianne, paru en 2019 qui, lui-même, citait les médias belges. Cependant, ces derniers ne fondaient pas leurs affirmations sur un rapport de «la police», mais sur celui du CIAOSN (Centre d’information sur les organisations sectaires nuisibles), organisation antisecte du gouvernement belge, similaire à la MIVILUDES. Ce centre d’information avait, à son tour, mal interprété les chiffres d’un document fourni par une fondation hollandaise hostile aux Témoins de Jéhovah, nommée «Reclaimed Voices». En d’autres termes, l’affirmation selon laquelle «la police» ou quiconque aurait découvert 90 ou même un seul cas confirmé d’abus sexuel délibérément dissimulé par les Témoins de Jéhovah aux autorités belges, constitue une information fallacieuse. Ceci est un fait, et non mon opinion personnelle.
En effet, un jugement a été rendu par le Tribunal de première instance de Bruxelles, en date du 16 juin 2022. Ledit tribunal déclare le CIAOSN et le gouvernement belge coupables de diffamation pour avoir publié de fausses informations et des chiffres erronés sur la question des abus sexuels chez les Témoins de Jéhovah. Soit dit en passant, cette décision confirme une réalité : certaines organisations gouvernementales diffusent parfois des informations fallacieuses au sujet de groupes qu’elles qualifient de sectes.
Ces informations jugées infondées et diffamatoires par un tribunal belge se voient à nouveau propagées par la MIVILUDES, plusieurs mois après le verdict. Par indulgence, on pourrait arguer que la MIVILUDES ne dispose pas d’informations actualisées sur la situation en Belgique. Cependant, cet argument n’est pas recevable. En effet, le rapport de la MIVILUDES fait état de «réunions mensuelles» et d’échanges d’informations avec le CIAOSN belge, sur la situation des sectes et leurs activités respectives.
S’agit-il d’une erreur isolée ? Pas vraiment. La MIVILUDES consacre plusieurs paragraphes au jugement controversé rendu le 16 mars 2021 par le Tribunal de Gand, en Belgique. Selon ce tribunal, l’enseignement dispensé aux Témoins de Jéhovah de ne pas fréquenter d’anciens membres (excommuniés ou ayant volontairement quitté l’organisation) relève de la discrimination et de l’incitation à la haine et, de ce fait, devrait être interdit en Belgique. Ici, la MIVILUDES suggère que la Belgique a une longueur d’avance sur la France, qui ferait bien de suivre son exemple en proscrivant ce soi-disant ostracisme.
La MIVILUDES rapporte ce jugement de 2021 avec exactitude. Cependant, elle omet d’ajouter qu’en date du 7 juin 2022, la cour d’appel de Gand a complètement renversé la décision de première instance. Elle a conclu que l’enseignement et la pratique de « l’exclusion » ou de l’isolement social par les Témoins de Jéhovah sont parfaitement légaux en Belgique.
Dans plusieurs pays, les tribunaux ont admis que rapporter un verdict de culpabilité rendu en première instance lorsque cette décision a été renversée en appel équivaut à de la diffamation. Une fois de plus, en raison de ses réunions mensuelles avec le CIAOSN, il est impossible de croire que la MIVILUDES ignorait la décision de la cour d’appel.
Sonia Backès, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, et très antisectes, supervise la MIVILUDES. Elle a annoncé la tenue d’«assises des dérives sectaires et du complotisme», au début de l’année 2023. Peut-être Sonia Backès devrait-elle au préalable enquêter sur les «dérives» ou le «complotisme» qui ont incité la MIVILUDES à s’octroyer le droit de diffuser des informations fallacieuses ?