BITTER WINTER

Les Témoins de Jéhovah face aux ex-Témoins. 3. Comment les ex-membres sont-ils traités en théorie et en pratique ?

by | Aug 5, 2022 | Documents and Translations, French

Un certain nombre d’affabulations circulent sur le sujet. Or, des exceptions existent pour les membres d’une famille qui vivent sous le même toit par exemple, et cette situation est douloureuse tant pour ceux qui cessent de fréquenter leur proche que pour le proche en question. Le but de cette mesure est à la fois de protéger les croyants et d’inciter les pécheurs au repentir.

par Massimo Introvigne

Article 3 sur 6. Lire l’article 1, l’article 2, l’article 3, l’article 4, l’article 5 et l’article 6.

Read the original article in English.

Sonia is disfellowshipped in the Jehovah’s Witnesses video “Loyally Uphold Jehovah’s Judgments—Shun Unrepentant Wrongdoers,” which explains the rationale for shunning. Source: jw.org.
Sonia est excommuniée dans la vidéo des Témoins de Jéhovah « Soutenons fidèlement les jugements de Jéhovah en ne fréquentant pas les transgresseurs non repentants », qui explique le bien-fondé de l’exclusion. Source : jw.org.

Qu’est-ce que l’exclusion ? Les médias s’appuient souvent sur des récits d’anciens membres devenus apostats pour la définir. Comme je l’ai expliqué dans un autre article, tous les ex-membres d’une religion ne deviennent pas forcément apostats. En réalité, la plupart ne le sont pas. Les spécialistes des religions utilisent le terme technique « apostats » pour désigner les personnes qui s’opposent activement à la religion qu’ils ont quittée. Leurs récits, qui ne sont pas totalement dénués d’intérêt, sont évidemment faussés, puisqu’ils proviennent de personnes ayant adhéré depuis à un groupe de militants dont le but est de critiquer voire de détruire leur ancienne religion. Les sociologues les qualifient souvent de « récits cruels » dont le principal objectif est de retourner une arme contre la religion qu’ils ont quittée.

Les spécialistes des mouvements religieux récents ne considèrent pas que tout ce qui est rapporté par les apostats est automatiquement faux. Leurs récits doivent être pris en compte et étudiés. Mais inversement, tout ce qu’ils affirment n’est pas vrai non plus, et utiliser leurs récits comme seule source d’étude aboutirait immanquablement à une vision faussée, pour ne pas dire caricaturale de ladite religion.

Cette remarque est valable aussi pour les récits sur l’exclusion, comme le confirme George Chryssides, l’un des plus grands spécialistes des Témoins de Jéhovah. Selon lui, les apostats et les « experts en cultes » auto-proclamés qui se fient à leurs récits, racontent des histoires au mieux « improbables » et au pire « absurdes ».

Que se passe-t-il dans la réalité ? Quand un Témoin de Jéhovah est excommunié ou qu’il se retire volontairement (ces termes sont expliqués dans l’article précédent), une annonce sobre signalant que « Untel n’est plus Témoin de Jéhovah » est faite lors de la réunion de semaine de l’assemblée locale.

Chryssides a mentionné des récits dans lesquels de prétendus « actes cruels » sont commis envers des personnes excommuniées. L’ex-membre est « chassé du foyer avec quelques effets personnels seulement, un vieux van par exemple, mais sans argent pour le carburant, et par conséquent en [serait] réduit à dormir sous un pont ». Voilà qui donnerait certainement matière à un bon script pour un film mélodramatique, mais ce n’est pas la vérité.

George Chryssides, sur Facebook.
George Chryssides, sur Facebook.

Dans la rubrique Questions fréquentes sur les Témoins de Jéhovah, publiée sur leur site internet officiel, jw.org, nous lisions en 2020 : « Que se passe-​t-​il dans le cas où un homme est excommunié mais que sa femme et ses enfants restent Témoins ? Leur pratique religieuse s’en trouve affectée, c’est vrai ; n’empêche que les liens du sang et les liens conjugaux perdurent ».

Dans le livre « Gardez-vous dans l’amour de Dieu », également publié par les Témoins de Jéhovah en 2008, nous lisons : « Puisque l’excommunication ne rompt pas les liens familiaux, les activités familiales et les contacts qui sont du ressort de la vie quotidienne normale pourront donc peut-être se poursuivre. Toutefois, par son comportement, le pécheur a fait le choix de rompre le lien spirituel qui l’unissait à sa famille croyante. Les membres fidèles de la famille ne peuvent donc plus avoir de relations d’ordre spirituel avec lui. Par exemple, lorsque la famille se réunit pour étudier la Bible, l’excommunié ne pourra pas participer s’il est présent ».

Dans un article daté du 15 avril 1991, La Tour de Garde affirmait : « Si un foyer chrétien abrite un exclu, celui-ci continuera à prendre normalement part aux activités quotidiennes de la maison ».

Ce point n’est pas nouveau. Déjà le 1er août 1974, La Tour de Garde expliquait qu’« étant donné que les liens du sang et les liens conjugaux ne sont pas dissous par une exclusion prononcée par la congrégation, la situation au sein de la famille exige une considération spéciale. Une femme dont le mari est exclu n’est pas dégagée de l’obligation biblique de le respecter, car il a autorité sur elle. Seuls la mort ou un divorce pour des motifs bibliques la dégageraient de cette obligation (Rom. 7 :1-3 ; Marc 10 :11, 12). Pareillement, bien que sa femme ait dû être exclue, un mari ne doit pas pour autant cesser d’aimer celle qui ne forme qu’une “seule chair” avec lui (Mat. 19 :5, 6 ; Éph. 5 :28-31) ».

Le 15 avril 1988, La Tour de Garde réaffirmait : «il se peut qu’un homme qui est exclu, ou qui se retire volontairement de la congrégation, continue à vivre chez lui avec sa femme chrétienne et ses enfants fidèles. Leur respect des jugements de Dieu et de la mesure prise par la congrégation amèneront cette chrétienne et ses enfants à reconnaître qu’à cause de sa conduite le mari et père a mis fin au lien spirituel qui les unissait. Cependant, puisque son exclusion ne rompt pas les liens conjugaux ou familiaux, ils continueront à mener une vie familiale normale et à se témoigner une affection mutuelle ».

Des récits à sensation émanant d’apostats font parfois état de cas où, en dépit de ces prescriptions, des épouses excommuniées ou des enfants majeurs ont été expulsés du foyer par leurs proches.

Cependant, après un examen plus approfondi, il apparaît que ces incidents ne sont pas liés à des désaccords d’ordre religieux mais à des problèmes de violence, d’alcool, d’agissements choquants ou d’actes volontairement provocateurs de la part d’individus rendant toute cohabitation avec leur famille impossible voire dangereuse. Certains ont même été excommuniés précisément en raison de leur comportement violent, mais ont opportunément « oublié » de mentionner ce détail dans leurs récits. Dans de tels cas, les personnes agressives auraient de toutes façons été expulsées du foyer par leur famille, peu importe la religion, et les tribunaux n’auraient rien eu à redire.

Pour autant, les Témoins de Jéhovah ne prennent pas l’exclusion à la légère. Mais cette mesure s’applique aux membres de la famille extérieurs au foyer. Le même numéro de La Tour de Garde du 15 avril 1988 expliquait que, contrairement aux cas de cohabitation avec un proche, « la situation est différente si la personne exclue ou qui s’est retirée volontairement est un parent qui vit en dehors du foyer ou du cercle familial immédiat. Il sera peut-être possible de n’avoir presque aucun contact avec lui. Même si des questions familiales rendent nécessaires certains contacts, ceux-ci devraient certainement être réduits au minimum ».

A dramatic confrontation between a father and his disfellowshipped adult daughter in the video “Loyally Uphold Jehovah’s Judgments—Shun Unrepentant Wrongdoers.”
La confrontation poignante entre un père et sa fille adulte excommuniée dans la vidéo « Soutenons fidèlement les jugements de Jéhovah : en ne fréquentant pas les transgresseurs non repentants ».

Il en va de même pour les relations de travail que les Témoins de Jéhovah sont amenés à avoir avec d’anciens membres qui ont été excommuniés ou qui se sont retirés volontairement. Ils ne sont pas obligés de mettre un terme à toute relation, mais il leur est demandé de limiter ces échanges au travail et d’éviter notamment les conversations liées à la religion. Une violation notoire de ces recommandations peut entraîner la formation d’un comité de discipline religieuse, les Témoins de Jéhovah se référant au passage de 2 Jean 11 sur les apostats : « Car celui qui lui adresse une salutation participe à ses œuvres mauvaises ».

Ainsi que Chryssides le fait remarquer, « l ‘excommunication n’a pas pour vocation de favoriser l’insensibilité ». Il cite à l’appui un exemple tiré de La Tour de Garde qui relate le cas d’une femme excommuniée victime d’une crevaison sur son véhicule. Les  membres de l’assemblée ont été encouragés à lui venir en aide parce que lui refuser assistance « reviendrait à être malveillant et inhumain gratuitement » et dénoterait « un manque d’équilibre » dans la compréhension du principe de l’exclusion. Et cela est d’autant plus vrai dans le cas de parents excommuniés ayant besoin d’aide parce qu’ils prennent de l’âge ou sont gravement malades. Les Témoins de Jéhovah enseignent que l’exclusion ne supprime pas le devoir d’assistance pour les proches.

Ces faits nous éclairent sur la différence entre l’exclusion telle qu’elle est appliquée par les Témoins de Jéhovah et la « mort sociale » pratiquée par les mouvements ultra-orthodoxes juifs et décrite dans le premier article de cette série. L’expression « mort sociale » a été créée au début du 20ème siècle par les spécialistes du judaïsme pour désigner cette version du herem chez les juifs ultra-orthodoxes. L’utiliser en référence aux Témoins de Jéhovah est sans fondement. Les apostats et les militants antireligion s’en servent uniquement dans le but d’impressionner les médias et leurs lecteurs.

Les Témoins de Jéhovah reconnaissent que l’exclusion est douloureuse. Par exemple, l’article d’étude de la Tour de Garde d’octobre 2017 fait ce commentaire : « même si cela nous fait de la peine, nous devons éviter tout contact non nécessaire avec un proche excommunié [qui ne vit pas sous le même toit], que ce soit par téléphone, texto, courrier, e-mail ou réseau social ».

Et la peine n’affecte pas seulement la personne excommuniée. Même si les récits d’apostats ou anti-religieux ne le mentionnent pas, les spécialistes qui ont interrogé des membres actifs (plutôt que des apostats uniquement) ont bien pris la mesure de leur douleur face à l’excommunication d’un proche parent ou d’un ami intime.

L’exclusion est doublement pénible : au chagrin lié à l’exclusion proprement dite, et que les Témoins de Jéhovah considèrent comme un commandement biblique, vient se greffer celui lié aux raisons justifiant l’exclusion, par exemple dans le cas d’un mari excommunié pour violences conjugales ou pour infidélité et qui ne se repent pas.

La peine des parents de Sonia dans la vidéo « Soutenons fidèlement les jugements de Jéhovah : en ne fréquentant pas les transgresseurs non repentants ».
La peine des parents de Sonia dans la vidéo « Soutenons fidèlement les jugements de Jéhovah : en ne fréquentant pas les transgresseurs non repentants ».

Pour les Témoins de Jéhovah, le commandement selon lequel ils ne doivent pas s’associer à des ex-Témoins provient de principes bibliques clairs, notamment ceux contenus en 1 Corinthiens 5 :9-13 et 2 Jean 9-11. Ils s’appuient sur le travail d’historiens reconnus qui rapportent que les premiers chrétiens ne fréquentaient pas ceux qui avaient quitté leur religion, ainsi que je l’ai mentionné dans le premier article de cette série. Ils ne pensent pas qu’il serait juste de modifier ces préceptes bibliques ou de ne pas en tenir compte.

Toutefois, ils sont aussi convaincus que la Bible ne peut pas enseigner quelque chose qui soit néfaste car le dessein divin est un dessein basé sur l’amour. Même s’il s’avère parfois être une source de chagrin, ce commandement a pour but, non seulement de protéger les croyants, mais également d’aider les pécheurs à se ressaisir et à se repentir. À moins d’essuyer un refus, les anciens pourront rendre visite aux membres excommuniés pour leur prodiguer des conseils dans l’espoir qu’ils se repentent et reviennent au sein de l’assemblée.

Même les opposants des Témoins de Jéhovah reconnaissent qu’un pourcentage important d’excommuniés finissent par être réintégrés. Ils présument que ceux-ci demandent leur réintégration uniquement pour redevenir fréquentables et pas en raison de leur foi dans les enseignements et les pratiques des Témoins de Jéhovah. Comment des opposants pourraient-ils savoir ce qu’il en est vraiment ? En définitive, il s’agit d’une question philosophique que l’on se pose depuis la nuit des temps. Le repentir des Témoins de Jéhovah excommuniés est-il vraiment sincère ou provient-il du désir d’éviter les conséquences de l’excommunication ? Respectons-nous la loi parce que nous sommes de bons citoyens ou seulement pour éviter la punition ? Qui est capable de répondre à ces questions avec certitude ?

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