Les associations antisectes ont commencé à attaquer Loup Blanc dans les années 1990, mais ce n’est qu’après 2020 que leur campagne a pris de l’ampleur. Il a été arrêté en décembre 2021.
par Massimo Introvigne
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Dans un livre publié par Oxford University Press en 2011, l’universitaire canadienne Susan J. Palmer a exploré les racines et les raisons de la campagne française contre les « sectes ». Des tensions anciennes entre la laïcité et la religion ont rencontré des nouvelles craintes que les « sectes » aient développé de sinistres techniques de lavage de cerveau. Si les mouvements antisectes sont également actifs dans d’autres pays, en France les principaux groupes de lutte contre les sectes, dont l’UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes), sont subventionnés par le gouvernement. Il existe une Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) et des unités spéciales de police antisectes, comme celle qui s’est occupée de l’affaire du Loup Blanc.
L’idéologie qui inspire la MIVILUDES et l’UNADFI est fréquemment critiquée par des spécialistes internationaux des nouveaux mouvements religieux et des institutions gouvernementales non françaises comme l’USCIRF (United States Commission on International Religious Freedom). Ils notent que l’idéologie antisectes est basée sur la théorie pseudo-scientifique du lavage de cerveau, qui suppose que des adultes mentalement compétents peuvent être privés de leur libre arbitre par des techniques sinistres et mystérieuses de contrôle de l’esprit développées par des « gourous » malfaisants. La plupart des spécialistes des nouveaux mouvements religieux et les tribunaux de plusieurs pays, des États-Unis à l’Italie, ont conclu que ces techniques n’existent pas. Les affirmations selon lesquelles elles sont utilisées par les « sectes » ne sont que des outils pour discriminer les minorités impopulaires. Les activistes antisectes insistent sur le fait que certaines doctrines et pratiques sont si étranges et socialement inacceptables qu’elles ne peuvent être adoptées que par des victimes de lavage de cerveau ou de manipulation mentale.
Loup Blanc s’est parfois moqué des associations qui combattent les « sectes » mais se comportent elles-mêmes comme des « sectes » selon leur propre définition. Il a observé que « le football, la chasse, les partis politiques, les partis religieux, TOUS sont des sectes mais ils sont autorisés par le gouvernement », qui ne frappe que ceux qui osent penser de manière non conventionnelle. Cependant, il n’a pu échapper à l’attention malveillante des médias qui adhèrent à la définition de la « secte » prévalant dans la société française, de l’UNADFI, et enfin de la MIVILUDES.
En 1992, un journal local d’Alençon, « L’Orne hebdo », publie un article qui présente Loup Blanc comme le « gourou » typique d’une « secte ». L’information provient de l’antenne locale de l’UNADFI. Harmonia, l’association qui regroupait à l’époque les disciples de Loup Blanc, a décidé de ne pas réagir (bien que Loup Blanc ait personnellement suggéré une action en justice). Cependant, le 22 avril 1993, un journal national, « France-Soir », utilise le reportage de « L’Orne hebdo » dans un article où un ex-membre caché sous le pseudonyme de « Christian » accuse Harmonia de détruire des familles et des individus. L’article de « France-Soir » rapportait l’avis de l’UNADFI selon lequel Harmonia était l’une des « sectes » les plus dangereuses de France, et proposait une comparaison entre les disciples de Loup Blanc et les Branch Davidians qui, trois jours auparavant, le 19 avril 1993, étaient morts à Waco, au Texas, lors d’une confrontation avec l’FBI. Le même jour et le lendemain, la chaîne de télévision France 3 diffusait la même information.
Cette fois, Harmonia a porté plainte. Le 14 mars 1994, le Tribunal de Grande Instance de Paris déclare « France-Soir » coupable de diffamation pour ne pas avoir vérifié l’exactitude de l’histoire de « Christian » et avoir proposé une comparaison calomnieuse avec les Branch Davidians. Le journal n’a pas fait appel, et le jugement est devenu définitif. La chaîne de télévision avait été poursuivie séparément devant un autre tribunal, celui de Caen, qui, le 12 juin 1994, a conclu que le contenu diffusé n’était pas intrinsèquement diffamatoire, mais que France 3 était néanmoins coupable de l’avoir présenté de manière malveillante dans le but de calomnier Harmonia.
Contrairement à « France-Soir », la chaîne de télévision a fait appel. Le 25 juin 1996, la Cour d’Appel de Caen a donné raison à France 3 et le 17 décembre 1998, la Cour de Cassation a confirmé le jugement d’appel. Ces décisions stipulent que la question de la diffamation ne peut être séparée de celle de la présentation de l’information sur Harmonia. Cependant, à cette époque, Harmonia n’existait plus. La Cour d’Appel et la Cassation, pour une raison technique, n’étaient pas persuadées que la nouvelle association, Oxyon 777, puisse remplacer Harmonia et exercer tous ses droits. Elles ont donc condamné Oxyon 777, sur la base d’un vice de forme que les disciples de Loup Blanc ont imputé à une erreur de leur avocat.
Entre-temps, en décembre 1995, une commission parlementaire française avait publié un rapport sur « Les sectes en France », qui comprenait une « liste des sectes » fortement critiquée par des universitaires internationaux et français et désavouée par la suite par le gouvernement français lui-même. La liste comprenait « Oxyon 777 (ex-Harmonia) ». Cela n’était pas surprenant, compte tenu du rôle des associations antisectes, directement ou par le biais de leurs contacts avec le Renseignements Généraux, dans la préparation de la liste. En 1997, « L’Orne hebdo » publiait une nouvelle attaque au vitriol. Quelques échanges de lettres ont suivi, mais une fois de plus les disciples de Loup Blanc ont décidé de ne pas poursuivre un journal local.
Rétrospectivement, la campagne a donné lieu à une certaine surveillance de la Gendarmerie ou des Renseignements Généraux sur les membres et les activités du groupe, mais elle n’a pas duré longtemps. Sa conséquence la plus fâcheuse pour les disciples de Loup Blanc a été l’utilisation dans certains cas de divorce de l’argument selon lequel les parents membres d’une « secte » n’étaient pas aptes à avoir la garde de leurs enfants. Comme mentionné précédemment, Oxyon 777 a été dissoute en 1999, et la campagne s’est lentement calmée.

Cependant, une tempête plus grave a commencé en 2019. Comme mentionné précédemment, l’élève qui avait construit le site web du groupe, T., s’éloignait progressivement de Loup Blanc pour des raisons personnelles. En mars 2020, T. a quitté le groupe, alors que, d’après mes interviewés, Loup Blanc commençait à le confronter pour ses comportements manipulateurs, agressifs et déplacés envers un certain nombre de élèves. Rapidement, il a commencé à faire campagne contre lui sur les médias sociaux et à inciter d’anciennes élèves à contacter la MIVILUDES. Son objectif était de soumettre un rapport à la MIVILUDES et de déposer une plainte contre Loup Blanc. C’est ce qui a été fait (en fait, bien que sur le rôle de T. mes interlocuteurs aient eu des avis différents), accusant Loup Blanc d’utiliser des techniques de manipulation psychologique (le délit typique des « sectes » en France), y compris sur des femmes qui ont accepté de participer au travail tantrique sans se rendre compte qu’elles, bien que consentantes, étaient « sous emprise », ce qui a conduit à son arrestation le 8 décembre 2021.
Alors que l’enquête pénale se poursuit, son avocat, que j’ai interrogé, se plaint des conditions de sa détention, d’abord à Nîmes et maintenant à Béziers, où Loup Blanc est empêché d’étre en contact avec ses proches, de suivre son régime végétalien et d’utiliser ses remèdes naturels habituels. Selon l’avocat, il a perdu 15 kilos depuis son arrestation. L’avocat se plaint également que 140 témoins prêts à témoigner en faveur de Loup Blanc, y compris des femmes qui sont passées par le travail tantrique, ont été largement ignorés. Certains élèves ont été entendus, mais ils se sont plaints que les interrogatoires de la cellule policière antisectes étaient très agressifs. L’une d’elles a même affirmé que lorsqu’elle a dit que Loup Blanc « a toujours respecté les femmes », ses propos auraient été transcrits dans le procès-verbal comme « n’a jamais respecté les femmes ni les hommes ». Elle ajoute que lorsqu’elle a demandé à corriger le procès-verbal, elle a été maltraitée par l’agent. Les demandes de conversion de la détention de Loup Blanc en assignation à résidence pour des raisons humanitaires et autres ont été rejetées.
Permettez-moi de répéter une fois de plus que je ne tolère pas les abus sexuels et que je ne crois pas que la liberté de religion ou de croyance puisse protéger les abuseurs. Dans des cas comme celui-ci, qui ne sont pas rares lorsqu’un travail tantrique sur la sexualité fait partie des activités de l’enseignement, nous sommes toujours confrontés à des récits inconciliables. Ceux qui restent dans le groupe sont persuadés de l’innocence du leader. Les ex-membres « apostats » – le terme « apostat » n’étant pas ici péjoratif, mais correspond à une catégorie technique utilisée par les sociologues pour désigner la minorité d’ex-membres qui se transforment en opposants militants du groupe qu’ils ont quitté – soutiennent qu’il (plus rarement elle) est coupable.
Tout en laissant aux tribunaux la tâche difficile d’établir les faits, sur la base de plusieurs décennies d’expérience avec des groupes et maîtres qui pratiquent un travail sexuel tantrique, je voudrais seulement suggérer aux procureurs et aux juges de considérer leurs particularités. Leurs pratiques, bien que typiques d’une tradition centenaire du tantrisme asiatique, peuvent paraître bizarres, étranges, voire subversives en Occident. La question est de savoir si cela doit conduire à la conclusion que le consentement de toute femme participant à ces pratiques avec un gourou doit être considéré comme nécessairement et par définition vicié par la manipulation mentale ou le lavage de cerveau. Il me semble qu’une telle conclusion serait offensante pour les femmes que j’ai interrogées et qui ont insisté sur le fait qu’elles ont participé à un travail tantrique avec Loup Blanc qui comprenait plusieurs pratiques sexuelles, dont certaines non conventionnelles, en comprenant parfaitement de quoi il s’agissait et après avoir conclu que c’était une expérience qu’elles voulaient faire. Elles ont affirmé avec insistance qu’elles n’avaient jamais été obligées de faire quoi que ce soit, qu’elles avaient arrêté l’expérience quand elles le voulaient et pensaient avoir déjà récolté les fruits qu’elles en attendaient. Elles ont ensuite continué à faire partie du groupe sans problèmes jusqu’à ce jour. Ces élèves ne sont pas agressives lorsqu’elles discutent des plaignantes, mais croient que, ayant quitté le groupe, ces dernières ont maintenant honte d’expériences qu’elles avaient faites librement et même décrites avec enthousiasme à d’autres élèves au moment où elles avaient lieu. Aujourd’hui, cependant, elles refusent de les assumer et s’en justifient avec l’argument commode du lavage de cerveau, facilement disponible dans la culture antisectes française dans laquelle elles ont été socialisées.

Les abus, bien sûr, sont toujours possibles. Bien que les abus sexuels soient statistiquement plus fréquents dans les grandes religions, notamment l’Église catholique, que dans les nouveaux mouvements religieux, ils peuvent se produire partout. C’est un risque aussi dans les groupes incluant parmi leurs enseignements des pratiques sexuelles tantriques, et il y a eu des cas de femmes non consentantes forcées à avoir des rapports sexuels avec des maîtres spirituels. D’autre part, supposer que les femmes consentantes ne le sont jamais vraiment, quelle que soit la façon dont elles racontent leur histoire, et qu’elles ne peuvent être que sous l’emprise de la manipulation mentale, implique qu’expérimenter un travail sexuel tantrique est interdit en général en France, et n’est qu’une autre incarnation de la vieille théorie discréditée du lavage de cerveau.
Quant au sort de Loup Blanc, il répondrait probablement à nos questions, selon un poème inédit qu’une élève m’a envoyé, que « le TEMPS… le Grand TISSERAND, TISSE inlassablement la LAINE de nos expériences » et, d’une manière que nous ne comprenons pas toujours, tisse « la TOILE du DESTIN de chaque créature, – Donnant le meilleur à chacun selon son mérite ».