À partir de 2018, le comportement de la jeune femme est devenu de plus en plus étrange. Mais c’est seulement après l’assassinat d’Abe qu’elle a commencé à attaquer son ancienne religion.
par Masumi Fukuda
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En février 2018, Sayuri a été témoin d’un employé maltraitant un patient dans un établissement pour handicapés mentaux, où elle travaillait à temps partiel depuis qu’elle était lycéenne. Elle a filmé l’abus et l’a signalé à la police et à l’administration publique. Elle a également mentionné cet incident sur Twitter, insistant sur le fait qu’il était nécessaire de séparer les patients du personnel. Elle affirmait aussi qu’elle avait elle-même été victime de mauvais traitements de la part de son superviseur. C’est sans doute pour cette raison qu’elle a quitté l’établissement en mars. Le 2 juillet de la même année, l’incident a fait l’objet d’un reportage au journal télévisé de la Japan Broadcasting Corporation (NHK) pour la région de Tokai.
C’était une affaire déroutante. J’ai regardé la vidéo qu’elle avait mise en ligne à l’époque, mais le contenu ne semblait pas si terrible. Il arrive souvent aux personnes handicapées mentales de crier ou de perdre le contrôle, et les soignants doivent parfois les maintenir fermement. Cela semblait être le cas. A-t-elle vraiment été abusée par son superviseur ? D’abord, elle a parlé de « harcèlement sexuel » ; puis, d’une « maltraitance de la part de son superviseur ».
« J’ai été poursuivie par un harceleur. »
« J’ai été harcelée sexuellement. »
« J’ai été agressée par mon superviseur. »
« J’ai senti le regard d’un homme ».
« Le personnel maltraite les personnes handicapées dans un établissement spécialisé. »
« Ma famille a maltraité ma grand-mère. »
La vérité est bien sûr impossible à déterminer, mais si on considère toutes ses déclarations, Sayuri apparaît comme très complexée, et même paranoïaque. C’est d’ailleurs un fait admis par ses parents.
Après avoir quitté son emploi à temps partiel au centre pour handicapés, Sayuri est devenue plus active sur le plan musical ; elle s’est produite sur scène lors d’événements, ou dans la rue.
Sur un plan moins positif, elle souffrait également de dépression, et à la mi-avril 2018, elle a déménagé de son appartement et est retournée chez ses parents.
Chez elle, elle a arrêté de travailler et passait son temps à dormir, ce qui irritait sa sœur cadette. Alors, celle-ci lui a dit : « Maman dit dans ton dos : ‘Quand va-t-elle travailler ? Il faut qu’elle ramène bientôt de l’argent à la maison’ ». Masako ne se souvient pas d’avoir parlé en ces termes, mais Sayuri a été tellement énervée par les paroles de sa sœur qu’elle a décidé de quitter à nouveau le domicile de ses parents.
Le 24 mai de la même année 2018, Sayuri a quitté la maison. Elle a laissé une note où elle disait : « Je suis un peu fatiguée, je vais me reposer », et elle est partie chez son mari, avec qui elle était déjà en couple à l’époque. Il semble qu’elle l’avait rencontré lors de ses prestations musicales.
Après avoir quitté la maison familiale, des problèmes d’argent sont survenus entre Sayuri et ses parents. Vers le mois de juin 2018, Sayuri a envoyé à plusieurs reprises des messages à son père, l’informant qu’elle voulait quitter l’église et lui demandant de lui rendre son argent. « Je vous ai donné 100 000 yens chaque mois, de telle à telle année, et je veux les récupérer. »
« J’ai été surpris de lire cela. Il ne s’agissait pas seulement d’argent, elle disait aussi : ‘Vous avez détruit ma vie’ », se souvient son père. « Elle affirmait qu’elle avait quitté l’église à l’âge de 20 ans, vers 2016, alors qu’elle avait assisté à plusieurs événements de l’église depuis 2016 ; cela n’avait pas de sens. »
Au sujet de l’argent, sa mère, Masako, explique : « Il est vrai que j’ai emprunté 160 000 yens à ma fille lorsqu’elle était lycéenne, et que je ne les lui avais pas rendus, car nous avions du mal à payer les frais de scolarité de nos deux fils aînés. Mais je lui ai seulement emprunté ces 160 000 yens. En fait, le jour où ma fille a quitté la maison, 220 000 yens ont été retirés du compte de la Japan Agricultural Bank de mon mari à un distributeur automatique. Comme personne d’autre dans notre famille n’avait retiré cet argent, nous avons pensé que c’était Sayuri qui l’avait pris. À cause des 160 000 yens, nous ne lui avons rien dit. »
En outre, Sayuri a souvent demandé à son père Yoshihiko de lui envoyer de l’argent. À chaque fois, Yoshihiko lui a envoyé plusieurs dizaines de milliers de yens, pour un total d’environ 100 000 yens.
En janvier 2021, à la demande de sa fille, Yoshihiko lui a de nouveau remis 80 000 yens. Il a ensuite reçu un long message de sa part, disant : « Merci, je suis désolée, car je sais que vous êtes dans une situation difficile. » En même temps que ces mots d’appréciation, elle a envoyé un long message qui commençait ainsi : « Je dois te parler de quelque chose ». En résumé, le message était le suivant : « Quand j’avais 18-20 ans, maman prenait tout mon salaire, environ 100 000 yens chaque mois, pour les frais de scolarité de mes frères. Je veux que tu en parles aussi à mes frères et que tu leur demandes de m’aider. Je disais à maman que je ne voulais pas lui donner mon argent, mais elle venait sur mon lieu de travail pour le récupérer. J’avais vraiment peur. J’ai des problèmes mentaux depuis que j’ai dix-huit ans, et j’en ai encore. Aujourd’hui, j’ai vingt-cinq ans, je suis toujours déprimée et je n’arrive pas à garder un emploi. Je pense que c’est ma famille qui m’a privée de mon avenir à cette époque. »
Ses parents étaient surpris. On leur racontait une histoire dont ils ne savaient rien. Toutefois, puisqu’elle avait aidé ses deux frères aînés, ils en ont parlé à ces derniers et tous deux ont transféré une somme d’argent sur le compte de Sayuri. En mars, elle a rendu les 80 000 yens qu’elle avait empruntés à son père.


Après cela, les relations entre Sayuri et ses parents se sont améliorées. Ces derniers envoyaient fréquemment des bonbons ou des légumes de leur jardin à leur fille, et celle-ci leur envoyait de la nourriture ou d’autres articles. En juillet, ses parents et son deuxième frère ont rendu visite à Sayuri dans son appartement, et en novembre, Yoshihiko et sa fille ont été en contact via la messagerie LINE. En décembre 2021, Sayuri et son partenaire se sont mariés au sanctuaire Hachiman de Tsurugaoka à Kamakura, en présence de ses parents et de son deuxième frère.
En avril 2022, lorsque Sayuri a donné naissance à un petit garçon, Masako est restée chez elle pour l’aider. Plus tard, les parents sont retournés voir leur fille ; ils ont pris des photos où chacun souriait autour du petit-fils nouveau-né.
Le nuage sombre qui plane désormais sur ce qui avait été une bonne relation parent-enfant a été déclenché par l’assassinat de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe, le 8 juillet 2022. Plus exactement, juste après la fusillade, il n’y a pas eu de changement significatif.
Peu de temps avant l’affaire, la famille de Sayuri avait décidé de quitter son appartement pour une maison. Elle a contacté Yoshihiko via LINE, pour lui dire qu’elle avait besoin de la voiture qu’elle avait achetée et laissée au domicile de ses parents. Ainsi, le 9 juillet, ses parents ont conduit la voiture depuis la préfecture de Mie jusqu’au nouveau domicile de leur fille, dans l’agglomération de Tokyo.
Ce soir-là, Sayuri a envoyé un message via LINE à Masako disant : « Merci pour aujourd’hui. Je suis vraiment triste que M. Abe ait été abattu. Le suspect Yamagami fait partie de l’Église de l’Unification, n’est-ce pas ? » Le 11 juillet, elle a envoyé un autre message à Masako et demandé : « Maman, et vous tous, vous allez bien ? Il semble que les médias envahissent l’église de Nara. Allez-vous toujours à l’église ? S’il vous plaît, soyez prudents. » Elle était inquiète pour ses parents. Le même jour, le président de la Fédération des familles, Tomihiro Tanaka, a tenu une conférence de presse, et admis que la mère du suspect Yamagami était membre de la Fédération des familles.
Le 13 juillet, le comportement de Sayuri a changé radicalement. Comme si elle était devenue une personne complètement différente, elle a commencé à attaquer à la fois ses parents et l’Église (voir la partie sur le compte Twitter « La fille de l’ancien pasteur principal de l’Église de l’Unification » dans le premier article de cette série).
Le 16 juillet, elle a envoyé ce message via LINE à Yoshihiko : « En ce qui concerne l’ex-Église de l’Unification, il est très difficile de croire que c’était la volonté de Dieu que les fidèles fassent des dons importants ou achètent un livre coûtant 30 millions de yens, comme les médias l’ont dit récemment. S’ils avaient une raison légitime, je pense qu’ils devraient divulguer comment sont dépensés tous les dons qu’ils collectent. »
Il est possible que ce changement chez Sayuri était dû à la conférence de presse qu’a tenu le 12 juillet le Réseau national des avocats contre les ventes spirituelles, une organisation anti-Église de l’Unification. Cette conférence de presse a commencé par un moment de silence pour l’ancien Premier ministre Abe, précédé des paroles : « Jamais on ne devrait autoriser de tels actes, pour quelque raison que ce soit ». Mais ce qui a suivi était une critique virulente de l’ex-Église de l’Unification.
Les avocats ont brandi un livre en disant que le prix incroyable d’un exemplaire, qui comportait les paroles du révérend Sun Myung Moon, était de 30 millions de yens. Parlant des problèmes concernant l’ex-Église de l’Unification, les avocats ont déclaré que l’assassin d’Abe, Tetsuya Yamagami, et sa mère, étaient « 100% victimes de l’ex-Église de l’Unification », et que l’Église était « 100% coupable », la décrivant comme une « organisation très maléfique ».
Sans doute Sayuri a-t-elle été profondément choquée par cette conférence de presse. En fait, depuis environ 2017, elle se montrait publiquement distante de l’Église. Yoshihiko a demandé des détails à la sœur de Sayuri, pensant qu’elle en saurait plus. Celle-ci présumait qu’autour de cette année-là, Sayuri avait été en contact avec un ancien membre qui avait quitté l’Église de l’Unification pour rejoindre une dénomination chrétienne, et qu’elle avait été exposée à des critiques sur la religion de ses parents. Mais jamais elle n’avait critiqué ouvertement l’Église à l’époque.
Ceux qui ont l’âge de Sayuri n’ont pas fait l’expérience directe des graves calomnies répandues par les médias contre l’Église dans le passé. Par conséquent, quand elle a vu l’Église soudainement attaquée par les médias et entendu dire que « l’Église est 100% mauvaise, c’est une organisation maléfique », elle n’a pu qu’être influencée. Ainsi, le jour de la conférence de presse, elle a posté sur Twitter : « C’est amusant de voir l’Église de l’Unification en proie aux flammes, LOL. Eog Manse !!!!! »


Après cela, Sayuri a probablement attendu d’être contactée par le Réseau national des avocats contre les ventes spirituelles. Lors de l’audience du Parti démocrate constitutionnel, elle a déclaré avec insistance : « L’Église de l’Unification est une secte, qui se dit une religion. C’est une organisation antisociale, conduisant les familles de ses adeptes à la ruine. Je souhaite que le Japon adopte la loi antisectes qui existe déjà en France. » À la fin de la conférence de presse du Club des correspondants étrangers du Japon, elle a déclaré d’un ton ferme : « Veuillez dissoudre cette organisation. »
Ces déclarations sont la copie exacte des revendications des membres du Réseau national des avocats contre les ventes spirituelles, tel l’avocat Masaki Kito. En particulier, « dissoudre l’ex-Église de l’Unification » est une sorte de slogan que le Réseau utilise depuis sa fondation en 1987. On peut raisonnablement penser que le Réseau a coaché Sayuri avant ses apparitions médiatiques et publiques, et qu’elle a été sous leur influence.
Nous avons déjà décrit comment Sayuri a commencé à apparaître dans les médias en août 2022. Lors d’une audience tenue par le Parti démocratique constitutionnel le 23 août, ses déclarations étaient déjà très éloignées de la vérité. Ses parents ont passé de nombreuses nuits blanches, craignant qu’un nombre toujours plus grand de Japonais se fasse une conception déformée de leur Église.