Bien que les pratiques sexuelles tantriques n’aient jamais été une partie centrale de l’enseignement de Loup Blanc, elles sont au centre de l’affaire criminelle dans laquelle il est accusé.
par Massimo Introvigne
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Une de mes interlocutrices, Martine, m’a rapporté que pendant des années, alors qu’elle assistait à des initiations, elle n’a jamais entendu de Loup Blanc le mot « tantrisme ». Dans les livres de Loup Blanc, il n’est utilisé qu’exceptionnellement – par exemple dans « Le Pouvoir transformateur de l’Harmonie » (2009), et là pour avertir que « si tu commences à faire des exercices de tantrisme, au bout de trois, quatre mois tu vas devenir fou. Si tu n’es pas bien guidé par quelqu’un tu vas te bousiller la santé ».
Cependant, les enseignements tantriques de base sur la Shakti et la Kundalini ont été enseignés dès le début. Simplement, le mot « tantrisme » n’y était pas. La raison immédiate en est que le « tantrisme » évoque aujourd’hui auprès du grand public des enseignements sur la façon d’améliorer sa sexualité en suivant des cours de week-end à prix élevé. Loup Blanc insiste dans ses notes de 2020 pour un livre non publié (et inachevé) sur le tantrisme que« Il n’est pas comme Celles/Ceux qui font du Tantra une activité lucrative… Et pourtant c’est à la mode : Reiki-Tantra, Stage de Tantra, Chamanisme Tantrique… Juste pour attirer les clients qui cherchent une relation amoureuse ou une rencontre autre ».
Par contre, Loup Blanc confirme dans le même texte que, sans utiliser le mot « Tantra », il a toujours donné à ses élèves un enseignement tantrique : « Ce n’est pas parce que vous ne le savez pas ou vous ne le voyez pas qu’Il ne l’a pas enseigné. En fait, Il l’enseigne à chaque Initiation, car toutes les pratiques qu’Il donne sont Tantriques !… tout est Tantrique, toutes les pratiques qu’Il donne le sont ».
Conformément à la littérature académique sur le sujet, Loup Blanc insiste sur le fait que les enseignements tantriques ne concernent pas uniquement, ni même majoritairement, la sexualité : « C’est une aberration de le placer qu’au niveau sexuel, car le Tantrisme est bien plus vaste que ça ! Limiter le Tantra à la relation sexuelle ou au couple montre que l’on n’a rien compris ».
Le chercheur qui souhaite étudier le groupe de Loup Blanc est ici confronté à un dilemme. Pour comprendre les controverses et les accusations contre Loup Blanc, il est indispensable d’explorer le travail tantrique qu’il a effectué avec un petit groupe d’une vingtaine de femmes. Or, ce faisant, le chercheur est amené à consacrer à ce travail une place disproportionnée par rapport à son rôle réel dans le groupe, au risque de donner la fausse impression que les enseignements sur la sexualité aient une position centrale dans la voie proposée par Loup Blanc. Cela n’a jamais été le cas. L’analyse approfondie du travail sexuel tantrique qui suit a été rendue nécessaire par les controverses actuelles, mais le lecteur doit toujours se rappeler que son rôle n’a jamais été central parmi les multiples enseignements de Loup Blanc. Il ne concernait qu’un nombre limité de femmes, et la plupart des élèves n’en ont jamais entendu parler. Toutes les femmes concernées étaient célibataires. Leurs expériences sont allées d’une seule session à vingt ans de travail tantrique régulier avec Loup Blanc dans le cas de mon interviewée Danièle. Aucune femme n’était vierge lorsqu’elle a commencé ce travail spécifique.
Mes entretiens ont montré que l’utilisation limitée du mot « tantrisme » par Loup Blanc n’est pas une simple stratégie, puisque son discours sur la sexualité n’a pas le Tantra comme source unique. Dans le contexte français marqué par le catholicisme, avant de discuter des pratiques spécifiques de l’érotisme sacré, Loup Blanc estime qu’il est d’une importance cruciale de surmonter les tabous, « presque 2000 ans de poussière Catholique » qui ont couvert et caché la vérité sur la sexualité. Les images de saint Michel terrassant Satan, de saint Georges tuant le dragon et de la Vierge Marie foulant le serpent sous ses pieds symbolisent toutes la volonté de l’Église chrétienne de contrôler et de diaboliser la force de la sexualité.
Dans « Le Voyageur incorporel », le Sage dit à Loup Blanc que l’Église catholique a prêché à travers les siècles « le sexe de laideur, vil et pervers, qui entraîne la chute hors de l’Éden en nous faisant basculer dans l’enfer ». Cette image, enseigne Loup Blanc, est fausse, mais elle est aussi une prophétie autoréalisatrice qui convertit le sexe en une « force de mort… Le sexe est responsable des fléaux constatés sur cette terre ». Si nous essayons d’expulser le sexe, il revient avec une vengeance destructrice. Le Sage raconte la parabole d’un homme qui n’a jamais vu de femme et à qui un voisin moralisateur annonce qu’une femme va venir habiter dans une maison voisine. Pour ne pas être tenté par elle, l’homme s’attache à un poteau. Lorsque la femme apparaît, son désir et son agitation ne font que croître, jusqu’à ce que la corde soit tordue et qu’il souffre. L’homme finit par échapper à la tentation de cette femme, mais sa réaction à cette expérience est de commencer une vie de promiscuité et de débauche. Le voisin bigot représente les anciens enseignements religieux, et le sens de la parabole est qu’une « chasteté imbécile et sans raison » est comme un bouchon sur une bouteille de champagne : quand il est tiré par une force extérieure, il éclate de façon tonitruante et crée des désastres imprévus.
En fait, la sexualité selon Loup Blanc peut être à la fois une force de vie et une force de mort. Il enseigne que la sexualité opère à quatre niveaux, qu’il appelle Cocon, Chenille, Chrysalide et Papillon. Le niveau Cocon correspond à l’enfer, et la force sexuelle réprimée fait irruption dans des crimes tels que le viol et le meurtre. Le niveau Chenille est meilleur que celui du Cocon, mais comprend encore des pratiques perverses et dégradées. C’est au niveau Chrysalide que l’on commence à vivre le sexe de manière libérée et aimante, jusqu’à atteindre le niveau Papillon de l’amour divin. L’ascension au niveau Papillon correspond également à la voie tantrique qui permet à la Kundalini de remonter la colonne vertébrale jusqu’au sommet de la tête.
Selon un autre schéma, inclus dans une note supplémentaire pour le livre qu’il préparait sur le tantrisme, envoyée à Claudine qui a bien voulu la partager avec moi lors de notre entretien, il y a trois niveaux du travail tantrique. « Le premier niveau est la connaissance des phantasmes ou fantôme du désir, manière de les vivre et de les transcender et de s’en servir comme moyen libérateur !… Le deuxième niveau est l’expansion des quatre sens par l’obstruction d’un sens, qui est l’exploration sensitive et sensorielle de l’énergie double ! Le dernier niveau est l’EXTASE du YANG et du YIN, ou de SHIVA et de SAKTHI, comment ouvrir son âme à l’âme cosmique de la création ! ».
Il existe également un « quatrième niveau qui est celui de l’UNION INTIME AVEC SOI-MÊME ! ». Puisqu’en général, « dans l’HOMME il y a une FEMME et dans la FEMME il y a un HOMME », à la fin du travail tantrique, une femme peut faire l’expérience de l’union intime de sa partie masculine et féminine en elle-même, sans rencontres sexuelles avec Loup Blanc ou tout autre homme. C’est l’expérience que m’a racontée Claudine. Après deux ans de travail tantrique, elle a continué à dormir souvent chez Loup Blanc, mais les relations sexuelles ont cessé. Elle a juste bénéficié de sa présence et de son énergie pour ce qu’elle a décrit comme « une union entre ma partie masculine et ma partie féminine », par laquelle le travail tantrique a en fait continué pendant sept ans, mais d’une manière différente.
Un travail tantrique sur la sexualité avec Loup Blanc peut faire suite à une demande d’une élève ou au fait qu’une invitation du maître a été acceptée. Mais comme me l’a dit Martine, lorsque Loup Blanc propose le travail à une femme, c’est parce qu’elle lui a envoyé des signaux qu’il a perçus et compris comme une demande non verbale. J’ai également trouvé des cas de femmes qui ont demandé à faire ce travail tantrique et à qui Loup Blanc a répondu qu’elles n’étaient pas prêtes. En fait, moins de 10% des femmes du groupe sont passées par les initiations tantriques.
Un schéma du travail tantrique que Loup Blanc a voulu lui-même me transmettre est le suivant :« Il existe un individu au centre (le Point), entouré de cercles (1. Fantasmes, 2. Tabous, 3. Non-limite). Le catholicisme a mis des tas d’interdits dans l’esprit des humains. Tous ces interdits ont causé des tas de drames et continuent aujourd’hui. Brimée, cette énergie sexuelle est une énergie créatrice.
Les fantasmes peuvent développer des névroses et des déviations. L’âme est féminine et l’esprit est masculin. L’amour est une onde qui parcourt l’Univers, elle est impersonnelle et elle devient personnelle en passant le filtre humain. Les tabous sont des verrous de sécurité ou d’esclavage. Le dernier cercle permet une libération au niveau sexuel, on est libre, on ressent plus d’énergie et on se développe spirituellement, la créativité s’exprime à tous les niveaux de l’être».
Il admet que « Il est sûr que la façon de travailler de Loup Blanc est différente de la voie tantrique traditionnelle, mais n’y a-t-il pas ‘plusieurs demeures dans la Maison de mon Père’ ? (Jean 14:2) ».
Le premier travail à faire pour éviter les catastrophes liées à la répression sexuelle et retrouver une sexualité saine est donc de surmonter les fantasmes et les tabous. Comme me l’a dit une élève, en France, ces tabous touchent même les femmes qui ont été éduquées dans des familles laïques, non catholiques. Alors que dans l’affaire pénale contre Loup Blanc, cela a été reconstruit comme une preuve d’abus, les personnes interrogées ont expliqué qu’elles avaient perçu ce que, dans un résumé écrit de leurs expériences tantriques, certaines ont décrit comme « -tenues sexy ; – vidéos, photos échanges ‘crus’ écrits à distance avant la rencontre ; – vidéos, photos et échanges ‘crus’ pendant la rencontre » comme une thérapie de choc visant à les libérer de leurs peurs et de leurs tabous concernant le sexe. Ils disent que cela a si bien fonctionné que, lorsque le travail tantrique s’est poursuivi, certaines de ces expériences ont fini par être proposées et initiées par elles plutôt que par Loup Blanc.
Certaines écoles tantriques indiennes traditionnelles insistent sur le fait que l’amour romantique n’est pas nécessaire lorsqu’on travaille sur la sexualité avec un maître et qu’il peut même constituer une distraction. Certaines élèves féminines, cependant, ont témoigné qu’elles sont tombées amoureuses de Loup Blanc et se sont senties aimées par lui, bien qu’elles aient compris que ce n’était pas le genre d’amour que l’on peut éprouver dans un couple habituel, et qu’elles savaient que la relation n’était pas exclusive. Corinne a écrit dans son témoignage que Loup Blanc « n’est pas un homme que l’on peut peu posséder. Il nous enseigne, et nous libère de la possessivité et de la jalousie ». Pour Corinne, cela est compatible avec une relation amoureuse. D’autres femmes, en revanche, font une distinction entre l’amour et ce qu’elles appellent « l’affectif », qui dans notre société n’est jamais exempt d’un « attachement » qui conduit à la dépendance et à la jalousie. Loup Blanc, disent-elles, laisserait l’« affectif » se développer mais les femmes qui s’y « attacheraient » comprendraient rapidement que le travail est « autre chose », parfois de manière douloureuse. « Il ne crée pas de dépendance affective, dit Juliette, il vous en libère ». Loup Blanc lui-même m’a répondu sur ce point précis que « dans la voie tantrique, il est logique qu’il n’y ait pas d’affectif. L’affectif est la prison dans laquelle est enfermé une grande partie de l’Humanité. L’affectif amène la jalousie, la souffrance, l’esclavage, c’est un sentiment de chantage ».
C’est un mur, m’a dit Danièle, à travers lequel les femmes qui font un travail tantrique avec Loup Blanc à un moment donné doivent apprendre à passer. Toutes n’y parviennent pas. Sans les juger, elle estime que celles qui ont quitté le groupe et se sont portées plaignantes dans l’affaire pénale n’ont tout simplement pas réussi à traverser ce mur. D’autres m’ont dit que les plaignantes avaient confondu le travail tantrique avec une relation de couple « normale » avec Loup Blanc, bien qu’on leur ait répété à plusieurs reprises que c’était précisément ce que ce chemin n’était pas.
La majorité des témoignages rapportent que cette relation non possessive s’est terminée tranquillement lorsque Loup Blanc et la élève ont estimé que le travail était terminé, et que la relation, certes particulière, qu’ils avaient établie avait suivi son cours.
Ce qui vient directement du tantrisme est l’enseignement et la pratique de la continence, c’est-à-dire des rencontres sexuelles sans éjaculation de la part de l’homme. Une erreur occidentale concernant le tantrisme est de le réduire aux seuls enseignements sur la sexualité. Une autre erreur, que l’on retrouve parfois chez les premiers universitaires occidentaux qui ont essayé de rendre le tantrisme « respectable », est de ne pas parler de ses enseignements sexuels. Le tantrisme comprend effectivement des enseignements sur l’érotisme, comme l’écrit le spécialiste américain Shaman Harley, s’ils ont critiqué à juste titre le pseudo « sexe tantrique » du Nouvel Âge, les indologues ont parfois « fourni un correctif inadéquat sous la forme d’études détaillées sur la sexualité dans les systèmes de pratiques tantriques traditionnels ». Dans l’introduction d’une édition et d’une traduction 2015-2018 du « Brahmayamalatantra », l’un des plus anciens (7e-8e siècle) tantras orientés vers la déesse ayant survécu, Hatley distingue sept voies différentes d’érotisme sacré. Il critique la théorie selon laquelle « les pratiques coïtales [avec éjaculation] dans lesquelles les fluides sexuels sont collectés et consommés […] ont une antériorité historique », et soutient que dans le shivaïsme tantrique la voie fondée sur la continence « trouve une attestation plus ancienne ». Le « Brahmayamalatantra » lui-même enseigne la rétention du liquide séminal comme moyen d’acquérir des pouvoirs miraculeux (siddhi) et la connaissance de nos vies antérieures.
En bref, la doctrine tantrique de la continence enseigne que lorsque l’éjaculation est évitée, le sperme masculin et l’énergie sexuelle de la femme peuvent voyager vers l’intérieur jusqu’au chakra couronne situé au sommet de la tête, ce qui a un certain nombre d’effets positifs physiques, psychologiques et spirituels pour les partenaires masculins et féminins. Cet enseignement est commun à de nombreuses écoles tantriques et néo-tantriques, et constitue une partie importante du travail tantrique de Loup Blanc. Il enseigne que « Quand vous comprenez que gaspiller l’Énergie ne sert pas à grand-chose, juste à vous fatiguer et donner encore plus de force à votre Égo, en vous enfermant dans la cage de l’envie, et bien, vous prenez la décision de faire un travail à ce niveau-là, de faire monter la Force de Vie le long du Canal Spinal. À ce moment, commencera pour vous le Voyage Spirituel, car vous comprendrez qu’au lieu de laisser partir la Force de Vie vers le bas, vous allez la monter vers le haut et ainsi vous soigner en profondeur ».
Ceci provient d’un texte confidentiel et non publié. Cependant, Loup Blanc a parfois fait allusion à cet enseignement tantrique dans ses livres publiés. Dans « Le Pouvoir régénérateur de la Lumière », publié en 2009, il explique que pour « utiliser l’énergie sexuelle à des fins spirituelles… il suffit de remonter l’énergie à l’intérieur » : « il y a toute une technique pour remonter l’essence jusqu’au sommet de la tête ».
Cependant, contrairement à d’autres groupes tantriques, la continence n’est pas obligatoire pour les élèves masculins. Loup Blanc vante ses avantages et la pratique lui-même, mais prévient également qu’elle n’est pas utile pour ceux qui ne sont pas préparés. Des interviewées ont indiqué qu’entre 2015 et 2023, trois enfants sont nés de couples de élèves. Selon elles, le fait qu’il n’y ait pas eu plus d’enfants ne découlait pas d’une pratique généralisée de la continence, qui n’existait pas, mais du fait que la plupart des femmes du groupe avaient la quarantaine ou la cinquantaine. Les hommes que j’ai interrogés m’ont dit que les enseignements sur la continence étaient donnés en privé à quelques élèves, dont certains avaient un intérêt pour le sujet avant même de rejoindre le groupe, mais n’étaient presque jamais mentionnés dans les conférences publiques.