Une journaliste d’investigation primée du magazine « Hanada » explique comment le gouvernement a favorisé les pétitionnaires hostiles à l’Église de l’Unification contre ceux qui la défendaient.
par Masumi Fukuda
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Le 9 décembre 2022, une pétition en ligne comptant 204 588 signatures a été remise à l’Agence japonaise des affaires culturelles, lui demandant d’ordonner rapidement la dissolution de l’ex-Église de l’Unification [« ex » car elle s’appelle désormais Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification].
Ce jour-là, des anciens membres de la deuxième génération de l’Église de l’Unification, en colère, se sont rendus à l’Agence des affaires culturelles. Parmi eux se trouvaient Sayuri Ogawa (un pseudonyme), Keiko Kaburaki (un autre pseudonyme), le journaliste indépendant Eight Suzuki (un nom de plume), ainsi qu’un groupe soutenant les anciens membres mécontents. En leur nom, Ogawa remit la pétition et les signatures ainsi qu’une lettre adressée à Hiroaki Ishizaki, le directeur de la Division des affaires religieuses de l’Agence des affaires culturelles, qui dépend du ministre de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie.
La réunion fut largement diffusée le soir même aux informations télévisées. Alors qu’Ishizaki recevait solennellement la pétition d’Ogawa, sans doute dans une salle de l’Agence des affaires culturelles, en présence de plusieurs médias, on entendait le crépitement simultané de dizaines d’appareils photo, à la lueur des flashes. Ce fut une grande cérémonie. Selon Eight Suzuki, le directeur Ishizaki promit à tous : « Je ferai ce qu’il faut pour rassembler suffisamment de preuves afin d’éviter que la demande [de dissolution légale de l’ex-Église de l’Unification] ne soit rejetée par le tribunal ».

Douze jours plus tard, le 21 décembre, une autre pétition concernant l’ex-Église de l’Unification a été soumise à l’Agence des affaires culturelles. Cette fois, les signatures n’avaient pas été recueillies en ligne, mais la pétition avait été signée à la main par 23 486 membres actuels de la Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification. Or, cette pétition n’a pas été remise en main propre, mais envoyée par courrier postal. Pour quelle raison ?
La Fédération des familles avait voulu remettre sa pétition directement au responsable de l’Agence des affaires culturelles. Un représentant de la division juridique de la Fédération des familles, qui entretient de bonnes relations avec les responsables de l’Agence, avait fait la demande d’une entrevue. Dans un premier temps, on leur avait répondu que l’Agence allait préparer discrètement une salle de réunion, car si la délégation de la Fédération des familles arrivait à l’Agence par l’entrée principale, cela risquait d’occasionner des troubles.
Plus tard, cependant, lorsque le représentant de la Fédération des familles avait rappelé son contact à l’Agence, l’attitude du fonctionnaire s’était durcie. Il avait répondu : « Il y a toujours des journalistes autour de la résidence officielle du Premier ministre [laquelle se trouve à proximité de l’Agence]. Pour éviter tout problème, veuillez nous envoyer la pétition par courrier ». Le porte-parole de la Fédération des familles avait insisté : « Nous désirons la remettre en main propre », mais le préposé de l’Agence avait refusé.
Le représentant de la Fédération des familles était contrarié et honteux, mais il n’avait pas voulu insister davantage, car les dirigeants de son mouvement lui avaient dit : « Nous ne voulons pas d’ennuis avec l’Agence des affaires culturelles ».
Il s’agissait d’un cas flagrant de discrimination. Pire encore, la discrimination venait du gouvernement.
Les pétitions en ligne sont récemment devenues très populaires. Traditionnellement, les pétitions étaient signées à la main par chaque pétitionnaire. Dans le cas des pétitions en ligne, la même personne peut signer plusieurs fois en utilisant plusieurs comptes de courrier électronique. On peut également signer de manière anonyme ou utiliser des pseudonymes. À l’évidence, les pétitions en ligne sont donc moins fiables que les pétitions traditionnelles signées à la main. En ligne, les pétitionnaires n’ont pas à divulguer de données personnelles, et rien ne permet de vérifier leur identité.
Les pétitions de la Fédération des familles sont différentes. Elles comprennent une partie standard et une partie que chaque pétitionnaire a écrite personnellement, bien que le style diffère légèrement d’une église locale à une autre. En haut du formulaire A4, les noms des destinataires sont préimprimés : « M. Fumio Kishida, Premier ministre du Japon, et Mme Keiko Nagaoka, Ministre de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie ». La première phrase est également pré-imprimée : « Notre foi est la base de notre vie, et la Fédération des familles est au cœur de notre foi. Nous souhaitons qu’une décision équitable soit prise et que notre organisation [religieuse] ne soit pas dissoute… ». Dans la suite de la pétition, les membres décrivent en leurs propres termes leurs pensées et leurs sentiments, y ajoutant la date, leur nom et leur adresse.

« Lorsque cette façon de faire a été dévoilée sur Internet, explique Susumu Sato, porte-parole de la Fédération des familles, certains ont prétendu que la Fédération des familles avait poussé ses membres à répéter les mêmes histoires. Mais à part la première phrase standard, les membres étaient libres d’écrire ce qu’ils voulaient et d’exprimer franchement leurs sentiments personnels.
En réalité, l’été dernier, la couverture médiatique sur la Fédération des familles est devenue de plus en plus biaisée, et des membres de la deuxième génération ont commencé à critiquer notre Église pour son manque de réaction. Nous avons reçu de plus en plus de lettres de la part de membres qui craignaient de voir l’Église disparaître si cela continuait ainsi, et qui nous demandaient de réagir et d’empêcher la dissolution de notre groupe religieux ».
« Une vingtaine ou une trentaine de membres, poursuit M. Sato, ont écrit de leur propre chef des lettres au ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie (MEXT) ainsi qu’au gouvernement, mais la plupart d’entre eux ne savaient à qui adresser cette correspondance. Nous avons donc préparé un modèle et leur avons dit que, s’ils remplissaient la pétition et l’envoyaient au siège, nous la transmettrions au gouvernement dès que nous aurions recueilli un certain nombre de messages. Nous avons alors reçu un grand nombre de pétitions. Nous avons fixé la date butoir au 15 décembre. A cette date, nous avions reçu 23 486 pétitions. Ce n’était pas de leur part une manifestation de colère ou de revendication, mais une requête sincère qu’on ne leur enlève pas ce qu’ils avaient de plus précieux. D’autres membres auraient voulu signer, mais ils ont renoncé après beaucoup d’hésitation, craignant que leurs enfants soient malmenés à l’école s’il s’avérait que leur famille était associée à la Fédération des familles ».
L’ex-Église de l’Unification avait sélectionné trois représentantes parmi les pétitionnaires. Elles devaient remettre les pétitions en main propre et en lire des extraits, en mettant l’accent sur leur contenu essentiel. Les trois représentantes, Yuri Saito (26 ans), Kiaki Kojima (27 ans) et Yoko Ueda (pseudonyme, 26 ans), étaient toutes des membres de la deuxième génération. Elles avaient reçu l’autorisation de leurs parents et de leurs proches, elles étaient prêtes à révéler leur nom et leur visage, et elles étaient volontaires pour accomplir cette difficile mission (seule Ueda utilisait un pseudonyme, mais elle était prête à montrer son visage).
Kojima explique : « J’étais très heureuse quand on m’a demandé de m’impliquer, et nous avons discuté toutes les trois comment nous allions lire des extraits des pétitions, qui contenaient les sentiments sincères de plus de 20 000 membres. Ayant vu la vidéo de Sayuri Ogawa [ex-membre apostate] sur YouTube, nous savions que nous n’allions pas recevoir la même attention qu’elle. Mais nous espérions malgré tout un minimum de couverture médiatique, c’est pourquoi nous avons été très choquées que la réunion n’ait pas eu lieu ».
« J’ai lu une par une toutes les pétitions, ajoute Kojima, et j’étais au bord des larmes. Elles étaient pleines de sincérité et donnaient un aperçu de la vie de ces fidèles. J’étais prête à représenter les pensées et les sentiments qu’ils n’avaient pu partager sous le poids de l’opposition, et à exprimer les émotions qu’ils avaient accumulées au fil des années. Aussi, quand j’ai appris que la réunion n’aurait pas lieu, j’ai éprouvé un terrible sentiment de rejet, et je me suis demandé pourquoi elle avait été annulée ».
Ueda était également très déçue.