Le Japon apparaît comme le principal champ de bataille entre les forces qui attaquent la liberté religieuse depuis des siècles et celles qui la défendent.
Massimo Introvigne*
*Discours prononcé à la « Conférence de l’espoir », Cheongpyeong, 12 novembre 2022
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En 1965, le philosophe français Paul Ricœur a écrit un livre sur l’influence destructrice de trois « maîtres du soupçon » qui ont créé une hostilité très répandue contre la religion dans le monde occidental moderne : le fondateur du communisme, Karl Marx, le créateur de la psychanalyse, Sigmund Freud, et le philosophe allemand Friedrich Nietzsche.
Pour Marx, la religion était « l’opium du peuple », une drogue qui maintenait les pauvres dans le silence et empêchait les révolutions en promettant aux pauvres qu’ils seraient récompensés, non pas dans cette vie mais au paradis, et en suggérant que les riches pourraient même finir en enfer. En éliminant à la fois la pauvreté et les riches, le parti communiste ferait ainsi disparaître la religion.
Pour Freud, la religion était le produit délirant de problèmes neurologiques et psychologiques. Une fois que la psychologie moderne aurait résolu ces problèmes, la religion ne serait plus nécessaire et n’aurait plus sa place.
Pour Nietzsche, la religion existait parce que l’État n’avait pas réussi à éduquer des citoyens forts. La majorité, qui était faible, avait créé et embrassé des religions louant les faibles et les humbles (en particulier le christianisme). Lorsqu’un nouvel État éduquerait les enfants à être forts et sans pitié, les religions disparaîtraient en même temps que les humbles.
La théorie de Marx est devenue la base du communisme soviétique. Nietzsche a été abondamment utilisé et cité par les nazis. Freud a donné une nouvelle impulsion à l’humanisme séculier, déjà présent et dominant dans de nombreuses démocraties occidentales, sinon dans les gouvernements, du moins dans les universités et les médias.
Le communisme, le nazisme et l’humanisme séculier sont des idéologies différentes, mais chacune cherche à éradiquer la religion, en n’autorisant que certaines formes religieuses asservies à leur pouvoir. Ces trois idéologies sont encore bien vivantes : le communisme domine le pays le plus peuplé du monde, la Chine ; l’humanisme séculier contrôle de nombreuses salles de presse, universités et maisons d’édition en Occident ; et le modèle nazi d’un État totalitaire et la promotion de guerres d’agression refont surface dans la Russie de Poutine.
Le but ultime de ces trois idéologies est de détruire toutes les religions. Mais les tragédies du 20e siècle ont enseigné que cela n’est pas du tout facile. Les religions sont extraordinairement résistantes à la persécution.
Confrontés à l’impossibilité de les éradiquer dans un avenir immédiat, les tenants de ces trois idéologies ont décidé d’agir progressivement. Ils ont tenté de rassurer les religions les plus grandes et les plus puissantes en leur disant qu’elles n’avaient rien à craindre, du moins pour le moment. Ils ont affirmé vouloir simplement détruire les « mauvaises » religions et laisser les « bonnes » tranquilles.
En Chine, les mauvaises religions sont appelées « xie jiao », une vieille étiquette utilisée dans la Chine impériale pour désigner les groupes religieux qui ne soutenaient pas l’empereur, et qu’on utilise aujourd’hui contre ceux qui ne soutiennent pas le nouvel empereur, le parti communiste. En Russie, les groupes qui ne sont pas prêts à être strictement contrôlés par l’État sont désignés comme « extrémistes » et « liquidés ». Dans les pays démocratiques le modèle de Freud est appliqué, non pas à toutes les religions, mais à certaines d’entre elles qui sont minoritaires, qu’on qualifie de « sectes » et qu’on accuse de convertir leurs membres, ou de recueillir des donations, par le biais du « lavage de cerveau ».
Des dizaines de groupes ont été visés, mais trois sont devenus le symbole même de la « mauvaise » religion et ont été persécutés avec une haine particulière. L’Église de l’Unification a été visée pour sa critique très efficace du communisme et pour le succès de la Fédération internationale pour la victoire sur le communisme. La Scientologie a été attaquée pour sa critique de Freud, de la psychanalyse et des abus de la psychiatrie. Et les Témoins de Jéhovah, qui ne servent pas dans l’armée et ne votent pas, ont été persécutés car leur style de vie est à l’opposé de l’idéal nietzschéen, selon lequel une génération forte et impitoyable doit voir le jour sous le contrôle total de l’État et par le biais d’une éducation militariste.
Jusqu’à présent, j’ai mentionné l’Occident, mais la bataille la plus importante aujourd’hui se déroule en Asie, au Japon. Le Japon ne fait pas partie de l’Occident, mais c’est un pays asiatique qui, après avoir perdu la Seconde Guerre mondiale, a dû reconnaître que la liberté religieuse était nécessaire à la démocratie. Il a dû admettre ses erreurs passées et introduire des lois qui protègent cette liberté. Le Japon est ainsi devenu un pays oriental avec une notion occidentale de liberté religieuse, un pont vers l’Occident et un modèle pour toute l’Asie.
Pourtant, les idéologies destructrices ont également été à l’œuvre au Japon, notamment le communisme. En 1995, les tenants de ces idéologies ont profité de l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo pour faire porter à tous les mouvements qu’ils qualifiaient de « sectes » la responsabilité des crimes d’Aum Shinrikyo. Ce groupe particulier n’avait aucune ressemblance avec les cibles habituelles des militants anti-sectes, et pourrait plus précisément être décrit comme une tumeur dans le corps autrement sain du bouddhisme. Mais aujourd’hui, c’est un autre moment de deuil national qu’on manipule, l’assassinat d’Abe.
La campagne actuelle contre l’Église de l’Unification/Fédération des Familles est basée sur un certain nombre d’arguments manifestement faux et sur des faux témoignages, comme je l’ai prouvé dans plusieurs articles. En fin de compte, cependant, elle révèle l’action des mêmes forces obscures qui sont à l’œuvre contre la liberté religieuse dans d’autres pays. Les communistes japonais ne peuvent pas pardonner au révérend et à Madame Moon leur contribution à l’endiguement et à la défaite du communisme dans leur pays. En fait, ils ont explicitement annoncé qu’ils étaient engagés à présent dans une « guerre finale » contre le Mouvement de l’Unification. L’extrême droite japonaise s’est jointe à la persécution, non seulement parce qu’elle est raciste et déteste tout mouvement dont les dirigeants sont coréens, mais aussi parce qu’elle en veut aux réalisations de Madame Moon et de la Fédération pour la paix universelle (FPU) dans la défense de la démocratie et la dénonciation de toute forme de totalitarisme. Certains médias et avocats japonais ont des motivations diverses, notamment celle de gagner de l’argent. Mais parmi eux, il y en a aussi qui tentent de répandre au Japon l’idéologie internationale de l’humanisme séculier, en accusant de « lavage de cerveau » tout mouvement religieux qui fait preuve de succès et de notoriété.
Ne nous méprenons pas. Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’homme qui a tué Abe, ni même l’Église de l’Unification, du moins pas uniquement. Il s’agit de l’âme du Japon et de l’avenir mondial de la liberté religieuse, que certains essaient de redéfinir en la limitant à un club de « bonnes » religions – jusqu’au jour où celles-ci seront également attaquées – et en excluant les « mauvaises » religions qu’un obscur lobby a décidé d’appeler « sectes ».
L’avenir de la liberté religieuse sera largement déterminé par ce qui va se passer au Japon. Sera-t-il un avenir de persécution ou de liberté ? De gloire ou de honte ? Nous sommes ici pour empêcher les idéologies d’imposer leur réponse. Nous voulons faire entendre notre voix, faire entendre la voix de ceux qu’on persécute au Japon. Et nous ne sommes pas ici pour perdre. Je crois fermement que si nous restons unis, si nous n’abandonnons pas, si nous continuons à nous battre, nous célébrerons un jour notre victoire.