En 2011, la femme et les quatre enfants d’un aristocrate français ont été assassinés. Les militants antisectes ont tenté de relier ce crime aux « sectes ». Leur action en justice vient de s’effondrer.
Par Massimo Introvigne
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Les milieux antisectes français ont tenté de faire leur auto-promotion « au détriment de personnes profondément religieuses qui n’ont aucune déviance prohibée par la loi ». Stéphane Goldenstein, l’avocat de Geneviève et Christine Dupont de Ligonnès, a déclaré à Bitter Winter que « mes clientes sont ainsi des boucs émissaires au service d’une cause qui n’est pas la leur ». Le fait que l’affaire les concernant ait été classée sans suite « vient les réhabiliter dans leurs dignités mais le mal est fait… Calomniez calomniez il en restera toujours quelque chose, écrivait fort justement Francis Bacon ».
Ce qui se passe en France est un autre scandale qui frappe la MIVILUDES, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, une agence antisectes gouvernementale typiquement française.
L’affaire contre celle que la MIVILUDES appelle « Église de Philadelphie » a été classée sans suite par le parquet de Versailles le 3 janvier. Cela a révélé une histoire à peine croyable où la MIVILUDES et d’autres ont essayé de surfer sur la notoriété d’une affaire d’homicide non résolue pour faire avancer leur propagande contre les « sectes ».
Le 21 avril 2011, la police a découvert à Nantes, en France, les corps d’Agnès Hodanger, l’épouse de l’aristocrate français Xavier Dupont de Ligonnès, et de leurs quatre enfants. Xavier a été désigné par la police comme le principal suspect des meurtres, mais il a disparu et n’a pas été revu depuis. Bien que peu connue à l’étranger, l’affaire a fait l’objet de centaines d’articles et de plusieurs livres et documentaires télévisés en France.
Les Dupont de Ligonnès sont une famille catholique conservatrice. La mère de Xavier, Geneviève, et sa sœur Christine ont irrité les autorités en continuant à affirmer que la culpabilité de Xavier n’était pas prouvée et que d’autres possibilités auraient dû être envisagées quant au meurtre. En général, les médias français n’aiment pas non plus le catholicisme conservateur ou traditionaliste.
Geneviève et Christine gèrent un groupe de prière catholique conservateur, qui s’intéresse également aux révélations privées que Geneviève prétend recevoir de Dieu et de Jésus. Il existe des milliers de communautés catholiques similaires dans le monde, des centaines en France, comme le décrit notamment l’historien Jean-Pierre Chantin dans son récent ouvrage « Catholiques malgré Rome » (Paris : Cerf, 2022).
Le nom « Église de Philadelphie » peut sembler étrange et même « américain » (la plupart des « sectes » ne sont-elles pas américaines ?) dans un pays comme la France où la culture biblique est faible, mais en fait des dizaines de groupes chrétiens dans le monde utilisent le nom « Philadelphie » , en référence à une ville qui ne se trouve pas en Pennsylvanie mais dans l’actuelle Turquie, où l’une des premières églises a été établie. L’église de Philadelphie est mentionnée dans le livre de l’Apocalypse 1:11. Bien qu’Apocalypse 1 soit l’un des textes qu’ils ont étudiés, les Duponts nient que leur groupe ait jamais été nommé « Église de Philadelphie ».
En 2019, d’anciens membres mécontents de la communauté des Dupont de Ligonnès – encore une fois, de tels ex-membres existent dans la plupart des groupes religieux – ont contacté la MIVILUDES en affirmant y avoir trouvé des « dérives sectaires ». N’étant pas particulièrement versée dans la sociologie des religions, qui lui aurait appris que les crises renforcent souvent les groupes religieux, la MIVILUDES a commenté qu’il était surprenant que la communauté, qui avait été fondée avant les homicides de 2011, ne se soit pas dissoute après cette fameuse affaire.
Sans surprise, la MIVILUDES a trouvé que des « dérives sectaires » étaient à l’œuvre, et a transmis l’affaire au parquet de Versailles, lequel a ouvert une enquête fondée sur la loi française antisectes About-Picard de 2001, qui a créé un étrange crime d’abus d’un état de faiblesse qui aurait été créé créé par des techniques de sujétion psychologique (encore une autre incarnation de la théorie discréditée du lavage de cerveau, tout en évitant d’utiliser cette expression).
C’est alors qu’entre en scène Marlène Schiappa, qui était à l’époque la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, et qui a décidé de brandir le flambeau de la lutte contre les sectes à des fins politiques. Cette politicienne controversée a donné plusieurs interviews dans lesquelles elle dénonçait l’« Église de Philadelphie » comme une « secte » dangereuse sur laquelle la police devait enquêter et la MIVILUDES devait « alerter l’opinion ».
Et l’opinion a été dûment alertée. Marie Drilhon, présidente de l’antenne locale dans les Yvelines de la principale organisation française de lutte contre les sectes, l’UNADFI, a expliqué que « Nous connaissons des mouvements beaucoup plus dangereux et larges en termes de recrutement sur lesquels il faut davantage alerter. Cependant, cette histoire très médiatisée peut permettre de relancer la vigilance face au phénomène sectaire ».
On a donc découvert le pot aux roses. Peut-être n’y avait-il pas de « secte dangereuse », mais en raison de l’association avec les meurtres de 2011, l’histoire sera « très médiatisée » et soutiendra la propagande antisectes, sans parler des affirmations de l’UNADFI selon lesquelles elle aurait besoin de plus d’argent pour lutter contre les « sectes ».
L’avocat Stéphane Goldenstein a déclaré à Bitter Winter que « ce qui me dérange le plus dans cette affaire, c’est que des citoyennes respectueuses de la loi sont harcelées pour leurs croyances religieuses ». Goldenstein explique que « les révélations de Geneviève n’ont jamais été approuvées par l’Église catholique, mais elles n’ont pas non plus été formellement condamnées. Certains prêtres les ont lues et les ont trouvées assez surprenantes. Elle prétend qu’elle les reçoit par une sorte d’écriture automatique et les écrit dans une langue ancienne ». Même s’il ne croit pas lui-même à ces révélations, Goldenstein insiste sur le fait qu’« il n’y a rien d’illégal là-dedans, et qu’elles ne comprennent pas non plus les prophéties sur la fin du monde que certains médias ont voulu mentionner ».
Goldenstein se souvient que Xavier faisait lui aussi partie des cercles catholiques nostalgiques de l’époque pré-Vatican II, et qu’à cause de cela Georges Fenech, qui était à l’époque président de la MIVILUDES, « a essayé de créer l’image d’un crime aux motivations religieuses et né dans un climat de “dérives sectaires” ».
« Il me semble que la situation d’une famille qui a beaucoup souffert, conclut Goldenstein, a été exploitée à des fins publicitaires. Et leur liberté religieuse a été violée ».
La police et le procureur ont maintenant déterminé qu’il n’y avait pas de « dérives sectaires ». Un couple de catholiques françaises a réuni des amis pour prier et étudier des révélations privées et la Bible. Un rapide coup d’œil sur Internet persuaderait la MIVILUDES qu’il existe des centaines de groupes de prière similaires en France. Leurs valeurs ne sont peut-être pas toujours celles de la République, surtout lorsqu’ils sont dirigés par de vieux aristocrates, mais ce qu’ils font n’est pas du tout illégal.
Ce qui s’est passé est, simplement, une tentative honteuse d’exploiter un meurtre sensationnel pour alimenter la campagne française contre les « sectes ».