BITTER WINTER

Les Témoins de Jéhovah face aux ex-Témoins. 6. Pourquoi respecter leur choix de ne plus s’associer avec d’ex-adeptes

by | Aug 9, 2022 | Documents and Translations, French

L’exclusion fait partie des pratiques et enseignements fondamentaux dans lesquels les autorités gouvernementales ne devraient pas s’immiscer.

par Massimo Introvigne

Article 6 sur 6. Lire l’article 1, l’article 2, l’article 3, l’article 4, l’article 5 et l’article 6.

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Elders counseling a “problematic” member. From JW.org.
Des anciens conseillent un membre en difficulté. Source : JW.org

Bitter Winter a publié une série de cinq articles sur les Témoins de Jéhovah et l’exclusion. En effet, ils enseignent l’importance de rejeter, dans la plupart des cas (puisqu’il peut y avoir des exceptions), la compagnie de tout membre excommunié, sauf s’ils partagent le même foyer. Cette pratique est souvent qualifiée de cruelle et d’inhumaine par leurs détracteurs, qui demandent parfois aux gouvernements et aux instances judiciaires de l’interdire.

Je vais résumer ici les raisons pour lesquelles il me semble que ces demandes d’interdiction sont déraisonnables et présentent une menace pour la liberté de culte de toutes les religions.

Il est vrai que l’exclusion telle qu’elle elle est pratiquée chez les Témoins de Jéhovah présente des caractéristiques qui lui sont propres. Or le fait de se séparer d’avec les fidèles qui ont choisi de quitter leur religion ou qui en ont été exclus pour faute grave est typique des religions monothéistes, comme le judaïsme, le christianisme et l’islam, depuis leur origine. Les spécialistes expliquent que les premiers adeptes des religions monothéistes étaient entourés de polythéistes, et que l’exclusion était une façon de protéger leur religion encore jeune et fragile. Même lorsque le nombre de croyants a augmenté jusqu’à devenir une religion majoritaire, il leur a semblé vital de continuer de protéger leurs croyances.

Les Juifs d’autrefois pratiquaient une séparation très stricte d’avec les « apostats », séparation qui a persisté jusqu’à nos jours sous le nom de « herem » dans des groupes religieux ultra-orthodoxes. L’exclusion était également pratiquée par les premiers chrétiens, et il en est resté des traces dans la religion catholique romaine jusqu’au milieu du XXème siècle. Certains États musulmans n’ont pas seulement gardé l’idée de séparation, ils peuvent même condamner à mort un apostat. Les protestants qui défendaient la liberté de religion et refusaient que l’État intervienne pour punir les apostats, protégeaient néanmoins les croyances de leur communauté en ayant recours à des formes sévères de bannissement. Elles existent toujours sous le nom de « Meidung » dans les courants issus de la Réforme, tels que chez les Amish.

Les Témoins de Jéhovah excommunient les membres non-repentants coupables de péchés graves. Partout dans le monde, les cours de justice reconnaissent qu’intervenir dans les procédures d’excommunication constituerait une violation des droits fondamentaux des religions de s’organiser comme elles l’entendent. Elles reconnaissent également que les comités de discipline religieuse des Témoins de Jéhovah respectent fidèlement les procédures prévues, et que les membres accusés de péchés graves ont la possibilité d’être écoutés sans préjugés et de faire appel suite à une première décision émise à leur encontre.

Cette forme d’ostracisme s’applique également à ceux qui ont délibérément renoncé à leur foi. Certains détracteurs prétendent qu’il est injuste de traiter ceux-ci de la même façon que des pécheurs non-repentants. Cette opinion est liée à une mauvaise compréhension de l’excommunication. D’un côté, comme dans toutes les autres religions, on trouve des Témoins de Jéhovah qui sont devenus inactifs, peut-être au point de ne plus s’associer avec leurs coreligionnaires. Ces membres « faibles » qui ne pratiquent plus leur religion ne sont pas rejetés pour autant. D’un autre côté, des individus qui ont rejeté les croyances des Témoins de Jéhovah, que ce soit par écrit ou par leurs actes, ou bien qui ont rejoint une autre religion, qui se déclarent athées, ou dont les choix de vie sont perçus par les Témoins de Jéhovah comme contraires aux enseignements bibliques, ne seront plus considérés comme fréquentables. Encore une fois, il ne s’agit pas là d’une particularité propre aux Témoins de Jéhovah. L’Église catholique ainsi que d’autres confessions établissent également une différence entre des membres qui seraient devenus inactifs et ceux qui déclarent publiquement leur apostasie, et ils n’excommunient que ces derniers.

L’exclusion est une mesure souvent incomprise : elle ne s’applique pas aux membres d’une famille vivant sous le même toit. Les maris et les femmes continuent de mener une vie de famille normale et de se témoigner de l’affection mais ils ne participent plus ensemble aux activités religieuses familiales.

Les relations familiales entre maris, femmes, et enfants tiennent une place importante dans la vie des Témoins de Jéhovah. L’exclusion ne s’applique pas aux membres d’un même foyer familial. Source : tract « Quelle est la clé du bonheur familial ? » publié par les Témoins de Jéhovah.
Les relations familiales entre maris, femmes, et enfants tiennent une place importante dans la vie des Témoins de Jéhovah. L’exclusion ne s’applique pas aux membres d’un même foyer familial. Source : tract « Quelle est la clé du bonheur familial ? » publié par les Témoins de Jéhovah.

Les opposants parlent souvent de maris contraints de quitter le domicile familial après avoir été excommuniés, mais « oublient » de mentionner leurs tendances violentes ou clairement immorales, ce qui leur aurait valu d’être chassés de chez eux dans n’importe quelle religion et avec l’aval des tribunaux.

Dans certains cas, il est possible que des Témoins de Jéhovah actifs continuent de voir ces ex-membres : les relations commerciales déjà existantes perdurent ; un ex-Témoin dans le besoin ne sera pas non plus négligé (c’est le cas d’une femme qui aurait besoin d’aide lors d’une crevaison par exemple), et ils se font un devoir d’aider un proche âgé ou malade qui a besoin d’assistance. Les anciens gardent à l’esprit l’objectif principal de l’excommunication, qui est de guérir plutôt que de punir. Lorsque c’est possible, ils s’efforcent de rendre visite aux ex-membres et cherchent à susciter chez eux un repentir qui permettra leur retour au sein de la communauté. Tous ces aspects distinguent nettement l’exclusion chez les Témoins de Jéhovah de la « mort sociale » décrite par les chercheurs du début du XXème siècle qui ont étudié le « herem » des Juifs ultra-orthodoxes. Il serait donc inapproprié d’appliquer l’expression de « mort sociale » à l’exclusion telle que la pratiquent les Témoins de Jéhovah, comme voudraient le faire croire certains opposants.

On ne devient pas Témoin de Jéhovah du jour au lendemain. Une personne qui souhaite se faire baptiser doit suivre une démarche spécifique et démontrer qu’elle connaît les doctrines principales et les enseignements fondamentaux des Témoins de Jéhovah, y compris ceux concernant l’excommunication et l’exclusion. Leurs opposants pourraient objecter que seuls les adultes qui souhaitent se joindre aux Témoins de Jéhovah suivent vraiment cette démarche, tandis que les enfants dont les parents appartiennent déjà à cette organisation risquent d’être baptisés et excommuniés très jeunes.Cette objection serait recevable si on oubliait que, contrairement aux autres organisations chrétiennes, les Témoins de Jéhovah ne baptisent pas les nouveau-nés. Certes, certains se font baptiser jeunes, mais les anciens s’assurent que ces mineurs sont assez mûrs pour comprendre les enseignements fondamentaux et les pratiques cultuelles. Il n’y a pas d’âge fixe prévu à partir duquel un mineur pourrait se faire baptiser, la culture et l’individualité étant pris en compte pour évaluer le degré de maturité de chaque candidat au baptême.

De jeunes candidates au baptême chez les Témoins de Jéhovah. Source : La Tour de Garde Édition d’étude, Mars 2018.
De jeunes candidates au baptême chez les Témoins de Jéhovah. Source : La Tour de Garde Édition d’étude, Mars 2018.

Les adolescents peuvent se rendre coupables d’infractions graves, comme les données criminelles dans nos sociétés modernes le confirment (si bien que dans certains pays ils sont jugés comme des adultes). S’ils ne sont pas repentants, ils seront probablement excommuniés, bien que l’excommunication de mineurs reste très rare. Même si c’est le cas, le mineur restera dans son foyer sous la responsabilité de ses parents, et les liens familiaux ne seront pas rompus.

L’exclusion est-elle « illégale »? Même si dans quelques cas récents en Belgique et en Norvège des décisions prises en premier degré ont justifié des amendes et d’autres mesures à l’encontre des Témoins de Jéhovah (mais le jugement belge a été renversé en appel et le norvégien a été lui aussi appelé), ce ne sont là que des exceptions. De nombreuses décisions de justice dans de multiples pays fournissent la preuve que l’exclusion qu’ils pratiquent n’est pas illégale. Je partage cette opinion, et cela pour deux raisons principales.

Premièrement, notre décision de nous associer ou non à des personnes avec qui nous avons eu de forts différends, en raison d’un divorce ou d’une dispute à propos d’argent, de politique, ou de religion, est d’ordre personnel. Une cour de justice ne peut pas intervenir dans ce genre d’affaire, qui relève de la sphère privée et intime. Un tribunal peut obliger un mari divorcé à payer des allocations à son ex-femme mais ne pourra pas les obliger à continuer de se voir ou à rester amis.

Deuxièmement, je reviens sur l’objection selon laquelle les opposants ne veulent pas contraindre les Témoins de Jéhovah pratiquants à s’associer à d’anciens membres excommuniés – bien que dans certaines affaires, c’est précisément ce qu’ils demandent. Ils veulent simplement, nous dit-on, interdire l’enseignement du principe d’excommunication. En réalité, cette revendication pose un grave problème : personne ne peut mettre en doute que les Témoins de Jéhovah pratiquent l’excommunication telle qu’ils la comprennent d’après la Bible, et que chaque membre l’applique selon sa conscience religieuse. Il s’agit ainsi d’une pratique protégée par le droit à la liberté de culte.

Le fait de cesser de fréquenter les ex-membres est un enseignement clair de la Bible. On retrouve cette idée chez les auteurs de 1 Corinthiens 5 :13 « Enlevez le mauvais du milieu de vous » et 5 :11 « et même, avec un tel homme, de ne point prendre de repas », et de 2 Jean 10-11 « Ne le recevez pas chez vous et abstenez-vous de le saluer. Celui qui le salue participe à ses œuvres mauvaises. » (Bible de Jérusalem). D’autres confessions chrétiennes enseignent peut-être que ces prescriptions étaient appropriées uniquement pour les circonstances sociales de l’époque et qu’elles sont aujourd’hui désuètes, mais ce n’est pas le point de vue des Témoins de Jéhovah. Il n’appartient pas aux cours de justice de trancher dans de tels débats théologiques, ni de déterminer quelle devrait être la « bonne » interprétation de la Bible.

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