BITTER WINTER

Les Témoins de Jéhovah face aux ex-Témoins. 2. Comment les Témoins de Jéhovah traitent-ils ceux qui se retirent volontairement et ceux qui sont excommuniés ? 

by | Aug 4, 2022 | Documents and Translations, French

Il est important de différencier une personne qui se retire volontairement de sa religion d’une personne qui devient tout simplement inactive dans sa foi. Par ailleurs, l’excommunication est appliquée uniquement dans le cas de péchés graves sans repentance et non pour des fautes mineures.

par Massimo Introvigne

Article 2 sur 6. Lire l’article 1, l’article 2, l’article 3, l’article 4, l’article 5 et l’article 6.

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Pourquoi l’excommunication est une disposition pleine d’amour. Tiré de la «Tour de Garde» d’étude de mai 2015. Source : jw.org
Pourquoi l’excommunication est une disposition pleine d’amour. Tiré de la «Tour de Garde» d’étude de mai 2015. Source : jw.org

Chez les Témoins de Jéhovah, on trouve deux catégories d’ex-Témoins qui peuvent faire l’objet d’une mise à l’écart de la part des autres croyants. La première catégorie se compose de ceux qui ont été excommuniés. La deuxième comprend ceux qui se sont volontairement retirés de l’organisation des Témoins de Jéhovah.

Avant de discuter de cette mise à l’écart des ex-Témoins, il est nécessaire de bien comprendre ce qu’est l’excommunication. Pour ce faire, nous allons, dans un premier temps, examiner le cas de ceux qui se sont retirés volontairement. Les opposants affirment parfois qu’il est injuste de traiter de la même manière ceux qui sont excommuniés pour des péchés graves et ceux qui décident tout simplement de quitter l’organisation des Témoins de Jéhovah. Néanmoins, cette objection repose sur une mauvaise compréhension des choses.

Il existe une importante documentation sociologique sur les membres «non pratiquants» ou «non actifs» d’une religion. Par exemple, la plupart de ceux qui ont été baptisés en tant que catholiques romains sont inactifs, c’est à dire qu’ils n’assistent que rarement, voire jamais, à la messe ou à d’autres cérémonies et se considèrent eux-mêmes comme «non pratiquants». Dans la plupart des pays majoritairement catholiques, les sociologues estiment que les catholiques «non pratiquants» ou «inactifs» sont désormais plus nombreux que les catholiques pratiquants. Il existe cependant une exception en Allemagne. En effet, avant 2009 (date à partir de laquelle l’Église catholique a changé ses règles), il était relativement courant pour les catholiques allemands non pratiquants de signer une déclaration formelle de «retrait» des registres de la paroisse. Ils agissaient ainsi afin d’éviter de payer la taxe que l’Etat allemand perçoit au profit de l’Église catholique, auprès de toute personne enregistrée comme catholique.

Hormis cette exception très particulière, la très grande majorité des catholiques non pratiquants ne se retirent pas formellement de l’Église catholique. Seule une infime minorité d’ex-catholiques apostats, devenus de véhéments opposants à leur ancienne église, rédigent des lettres virulentes ou bien déclarent publiquement leur apostasie ou encore annoncent avoir rejoint une autre religion ou être devenus athées. Selon l’interprétation courante du droit canonique catholique, ces apostats militants sont de ce fait nécessairement excommuniés, ce qui n’est pas le cas des catholiques non pratiquants.

Pour les Témoins de Jéhovah, la situation est similaire. Comme toutes les grandes organisations religieuses, chaque année, d’une part, un certain nombre de Témoins de Jéhovah ne pratiquent plus leur foi et deviennent de différentes manières inactifs et, d’autre part, de nouvelles personnes rejoignent l’organisation des Témoins de Jéhovah. Les Témoins de Jéhovah disent de ceux qui deviennent inactifs que «leur foi s’est affaiblie». Ils ne participent plus aux réunions avec leur assemblée de fidèles, ne participent plus à la prédication, et se sont peut-être même éloignés de leurs compagnons chrétiens en ne s’associant plus avec eux. Ces membres «inactifs» ou «faibles dans la foi» ne sont ni excommuniés, ni mis à l’écart.

En revanche, parmi les ex-membres devenus apostats, ceux qui ont publiquement et formellement renoncé à leur foi et se sont retirés de l’assemblée soit par écrit, soit du fait de leur conduite, sont des exceptions (par exemple, en rejoignant formellement une autre religion ou une organisation laïque, qui d’après les Témoins de Jéhovah, a «des objectifs contraires aux enseignements bibliques»). Ces personnes sont considérées comme étant dans la même situation que celles qui ont été excommuniées. Comme il a été mentionné précédemment, ceci n’est en aucun cas propre aux Témoins de Jéhovah. Par exemple, selon l’interprétation dominante du droit canonique catholique, la même situation existe au sein de l’Église catholique.

Jean-Paul Laurens (1838-1921), «L’excommunication de Robert le Pieux». Bien que les historiens débattent encore pour savoir si l’excommunication a réellement eu lieu, l’histoire du roi de France Robert II (972-1031) montrait que l’Église catholique se réservait le droit d’excommunier même un roi, autrefois surnommé «le pieux», lorsqu’ il s’était retourné contre l’Église. Crédits.
Jean-Paul Laurens (1838-1921), «L’excommunication de Robert le Pieux». Bien que les historiens débattent encore pour savoir si l’excommunication a réellement eu lieu, l’histoire du roi de France Robert II (972-1031) montrait que l’Église catholique se réservait le droit d’excommunier même un roi, autrefois surnommé «le pieux», lorsqu’ il s’était retourné contre l’Église. Crédits.

Dans presque toutes les religions, on retrouve des procédures d’excommunication ou d’exclusion de croyants coupables de fautes graves. Ces fautes peuvent être d’ordre moral comme l’adultère, l’ivresse chronique, le vol, ou d’ordre religieux, lorsque la personne renie les principes essentiels de la foi. La plupart des religions, y compris celle des Témoins de Jéhovah, protègent la vie privée des membres excommuniés et n’indiquent pas publiquement les raisons de leur excommunication. Bien que cette démarche soit louable et imposée par les lois de certains pays sur la protection de la vie privée, elles donnent parfois lieu à une déformation des faits. Il n’est pas surprenant que d’ex-membres excommuniés pour immoralité ou vol ne soient pas enclins à ébruiter leurs fautes et préfèrent présenter comme motif d’excommunication un désaccord doctrinal. En fait, d’éminents universitaires qui étudient la religion des Témoins de Jéhovah, tels que George Chryssides, ont observé que l’immoralité sexuelle est l’une des principales raisons d’excommunication.

Pour les Témoins de Jéhovah, la notion de « non-repentance à la suite d’un péché » est également primordiale. L’édition d’étude de «la Tour de Garde» d’octobre 2021, par exemple, précise que «les pécheurs non repentants sont excommuniés de l’assemblée.» La non-repentance est un facteur clé dans le processus d’excommunication.

Il est arrivé à de nombreuses reprises que des Témoins de Jéhovah excommuniés aient fait appel à la justice pour reconsidérer les décisions prises par un comité de discipline religieuse. Ils ont constamment perdu leurs procès, à de rares exceptions près, comme cette étrange décision norvégienne en 2021, qui a été annulée par la Cour suprême de Norvège en 2022. Cependant, ces affaires portées en justice ont une certaine utilité, puisqu’elles permettent une évaluation complète du processus menant à l’excommunication par des observateurs neutres par définition, à savoir les juges profanes. 

Les tribunaux ont soutenu que les décisions d’un comité de discipline religieuse d’excommunier ou d’exclure quelqu’un ne relèvent pas de la justice et sont protégées par le principe fondamental de la liberté de religion, selon lequel les religions sont libres de se constituer et de s’administrer elles-mêmes, sans intervention du gouvernement. En 2007, la Cour d’appel du Tennessee a remarqué que les Témoins de Jéhovah «soutiennent que la liberté des comités religieux de déterminer qui peut être membre de leur organisation est une question fondamentalement ecclésiastique, qui de ce fait, interdit aux tribunaux de statuer sur les litiges concernant l’appartenance à la communauté religieuse ou à l’expulsion de celle-ci. Nous approuvons ce raisonnement. Étant donné que les comités de discipline religieuse sont libres d’établir leurs propres critères pour décider qui peut être membre de la religion, et pour résoudre les différends relatifs à ces décisions sans ingérence des autorités civiles, de ce fait, les décisions d’excommunication ne peuvent faire l’objet d’une révision judiciaire par les tribunaux civils.»

En 2018, dans l’affaire «Congrégation des Témoins de Jéhovah de Highwood (Comité judiciaire) c. Wall», la Cour suprême du Canada a décidé à l’unanimité que « les décisions des tribunaux au sujet de différends théologiques ou religieux ou de questions litigieuses concernant la doctrine religieuse impliquent de manière injustifiée le tribunal dans les affaires de la religion. » Elle a ajouté que « même les règles de procédure et de fonctionnement d’un groupe religieux particulier peuvent impliquer l’interprétation d’une doctrine religieuse » et en a conclu que «ces types de règles de procédures (religieuses) ne relèvent pas de la compétence des tribunaux.»

La Cour suprême du Canada, Ottawa. Crédits.
La Cour suprême du Canada, Ottawa. Crédits.

Les sociologues approuveraient cette décision, ayant appris de Max Weber (1864-1920) que les procédures d’une organisation religieuse relèvent de la théologie.  Les règles de procédures des Témoins de Jéhovah sont ancrées dans leurs croyances religieuses et ne découlent pas des lois du pays. La terminologie qu’ils utilisent peut parfois ressembler à celle d’un tribunal («convocation», «opportunité d’être entendu», «faire appel»). Cependant, le contexte est incontestablement religieux : les comités de discipline religieuse débutent par une prière et se réfèrent aux principes bibliques. La conclusion incontournable qui en résulte est la suivante : ces procédures et ces règles sont intrinsèquement religieuses.

Alors que les tribunaux européens ont aussi généralement statué en faveur des Témoins de Jéhovah dans les cas d’excommunications, il existe une différence par rapport aux décisions nord-américaines. Les tribunaux italiens, par exemple, ont déclaré à plusieurs reprises que les juges ne peuvent obliger les tribunaux ecclésiastiques (comités de discipline religieuse) à adopter les mêmes règles que les tribunaux nationaux ou européens, car ils ne peuvent pas intervenir dans la façon dont les religions décident de fonctionner. Néanmoins, ils peuvent examiner si les comités de discipline religieuse ont appliqué leurs propres règles et si le droit pour l’accusé d’être entendu a été accordé à la personne excommuniée, puisque c’est un droit humain fondamental. Les tribunaux de Bari (2004 et 2007), de Rome (2021), et plus récemment de Teramo, ont conclu que les comités de discipline religieuse appliquent bien les règles énoncées par les Témoins de Jéhovah et que ces règles accordent aux accusés le droit d’être entendus et de se défendre.

De plus, après une décision d’excommunication le concernant, l’accusé a la possibilité de faire appel. Dans ce cas, comme l’explique le livre, « Organisés pour faire la volonté de Jéhovah » chapitre 14, paragraphe 26 (à l’usage exclusif des assemblées des Témoins de Jéhovah) : «(…) le collège des anciens doit prendre contact avec le responsable de circonscription, qui choisira des anciens qualifiés (normalement d’une autre assemblée) pour constituer le comité d’appel chargé de réexaminer l’affaire.» Tous les «proclamateurs» Témoins de Jéhovah ont un exemplaire de ce livre et il est facilement disponible en format imprimé et électronique.

De plus, la décision des fautes (ou péchés) justifiant l’excommunication est une question théologique, qui ne relève pas de la compétence des tribunaux. C’est ce que la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles, la Queen’s Bench Division, a confirmé le 7 juin 2019 (la décision a été corroborée par la Cour d’appel de Londres, la Queen’s Bench Division, le 17 mars 2020).

Déterminer quelles fautes sont suffisamment graves pour entraîner l’excommunication est une question sur laquelle les Témoins de Jéhovah sont libres de décider eux-mêmes. Cependant, il est important de noter qu’en dépit des anecdotes que d’ex-membres apostats aiment rapporter (et qui devraient toujours être vérifiées avant d’être acceptées comme véridiques), une personne n’est pas excommuniée pour des erreurs mineures. En effet, l’excommunication n’est appliquée qu’en cas de péchés moraux graves sans repentance ou en cas de reniement public des doctrines que les Témoins de Jéhovah considèrent comme fondamentales. Certaines personnes au sein de nos sociétés modernes libérales peuvent considérer l’excommunication ou l’exclusion comme inacceptables d’une manière générale. Néanmoins, ces pratiques existent dans toutes les religions, sans parler des partis politiques, des syndicats et d’autres organisations non religieuses.

Dans ces affaires de justice, les tribunaux, y compris la Cour européenne des droits de l’homme, ont statué à plusieurs reprises que les libertés d’expression et de religion des excommuniés n’étaient pas violées. S’ils sont en désaccord avec les normes morales et théologiques de leur religion, leur liberté individuelle est protégée par le fait que personne ne les empêche de quitter leur religion et de rejoindre ou d’établir une autre organisation religieuse avec des pratiques et des croyances complètement différentes.

«Quand une brebis est malade, le berger doit parfois l’isoler». Extrait de l’édition d’étude de la « Tour de Garde », octobre 2021.
«Quand une brebis est malade, le berger doit parfois l’isoler». Extrait de l’édition d’étude de la « Tour de Garde », octobre 2021.

Il est important d’ajouter que, comme d’autres religions qui pratiquent des formes d’excommunication ou d’exclusion, les Témoins de Jéhovah y ont recours dans un but thérapeutique plutôt que punitif. C’est une opportunité offerte à l’excommunié de corriger ses erreurs et de se repentir. En fait, beaucoup d’excommuniés se repentent et reviennent. Comme l’a déclaré l ‘édition d’étude de la «Tour de Garde» d’octobre 2021 : «Une mesure de discipline peut-​elle vraiment être une expression de miséricorde ? Oui. Ce ne serait pas faire preuve de sagesse, de miséricorde et d’amour que de ne pas corriger une personne qui a besoin de l’être (Prov. 13:24). L’excommunication peut-​elle aider un pécheur non repentant à changer ? Oui. Beaucoup disent que cette mesure a eu sur eux l’effet d’un électrochoc et qu’elle leur a permis de réaliser la gravité de leur péché, de changer de comportement et de revenir à Jéhovah.»

Les universitaires qui ont étudié les Témoins de Jéhovah ont tous rencontré des membres qui avaient été excommuniés puis qui avaient rejoint leur assemblée de fidèles. C’est une preuve que les affirmations sur le rôle thérapeutique de l’excommunication en faveur du rétablissement d’une personne ne sont pas simplement rhétoriques. Les Témoins de Jéhovah font des efforts réels et sincères pour mettre ces enseignements en pratique. Leurs efforts sont souvent couronnés de succès.

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