Ces bases sont les « saisines » (en théorie, les alertes de ceux qui écrivent pour dénoncer une « dérive sectaire»). On apprend maintenant que les « saisines » ne sont pas des véritables « signalements ».
par Massimo Introvigne
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La France a une étrange institution appelée MIVILUDES, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, qui est maintenant reliée au Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).
Elle publie périodiquement des rapports sur les « sectes » qui font l’objet de nombreuses critiques pour leur imprécision et leur manque de rigueur. Par exemple, la Mission a récemment admis que ses chiffres de 500 « sectes » et 500.000 « victimes des sectes » en France, qu’elle répète souvent et que citent les médias, proviennent de vieux textes de 1995, 2006 et 2010, qui ont été controversés lors de leur publication, ne sont même pas cités correctement dans les rapports de la MIVILUDES et ne peuvent bien sûr rien nous dire de la situation actuelle.
Bitter Winter a également dénoncé la méthodologie erronée de la MIVILUDES, qui déclare un mouvement plus ou moins dangereux en fonction du nombre de « saisines » reçues chaque année sur ce groupe. Les « saisines » sont les alertes de ceux qui écrivent à la MIVILUDES, ou utilisent un formulaire web, pour dénoncer une « dérive sectaire ». Nous avons objecté que rien ne permet de vérifier que les personnes qui envoient des « saisines » à la MIVILUDES existent, et encore moins qu’elles disent la vérité, et avons mentionné le cas d’une universitaire américaine qui avait réussi à faire enregistrer par la mission gouvernementale française une « saisine » signée par Napoléon Bonaparte.
Nous pensions que la MIVILUDES faisait une mauvaise utilisation des « saisines ». Nous avions tort. C’est bien pire. Un correspondant français qui inspecte régulièrement les documents accessibles au public concernant la MIVILUDES a trouvé une décision de la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) datée du 12 mai 2022. Cette décision concerne un avocat qui avait tenté d’obtenir des copies de toutes les « saisines » reçues par la MIVILUDES depuis 2015 au sujet des Témoins de Jéhovah.

La CADA a décidé que l’avocat, sous certaines conditions, a le droit de les consulter, après que la MIVILUDES aura caché les noms et autres détails permettant d’identifier ceux qui ont envoyé les alertes, mais ce n’est pas la partie la plus intéressante de l’histoire.
Ce qui est plus important, c’est la déclaration quelque peu arrogante de la MIVILUDES dans la procédure selon laquelle l’avocat « opère une confusion». La confusion, selon la MIVILUDES, était « entre les véritables signalements et les saisines » envoyées à la MIVILUDES. Ces dernières « incluent également les interrogations et les échanges institutionnels. » La MIVILUDES a ensuite fait valoir que « que les signalements, qui consistent en des témoignages, contiennent de nombreux éléments de nature à porter atteinte à la sécurité et à la vie privée des personnes qui y sont mentionnées. » Ils ne peuvent être divulgués sans éliminer tous ces « éléments », et une fois que tous ces détails seront éliminés, ils deviendront inintéressants.

Cet argument se réfère aux « signalements ». Or, les « saisines », nous dit-on maintenant, ne sont pas des « signalements » et comprennent aussi de simples « interrogations et échanges institutionnels », qui ne sont donc pas des témoignages. Il semble que si le conseil municipal (« échange institutionnel ») ou même un simple citoyen (« interrogation ») demande à la MIVILUDES : « Que savez-vous du groupe X ? », cela est considéré comme une « saisine ». Si deux universitaires à la recherche de documents sur le groupe X, et une mairie à laquelle le groupe X a demandé une autorisation administrative, contactent la MIVILUDES, cela fait trois « saisines ».
Dans le rapport pour les années 2018-2020 de la MIVILUDES, trois « saisines » suffisent pour inclure L’Église du Dieu Tout-Puissant dans l’analyse des « déviances sectaires ». Rappelons que les « saisines » ne sont pas des « signalement » dénonçant que des citoyens français identifiés ont eu une expérience négative avec un groupe. Ce sont juste des interactions avec la MIVILUDES où le nom du groupe a été mentionné. Or, le nombre de « saisines » est un élément clé pour inclure un groupe dans les rapports de la MIVILUDES.
La conclusion est que les « saisines » font partie de la catégorie des illusions. Non seulement le système des « saisines » est facilement manipulable par ceux qui sont hostiles à un certain groupe, mais même si les « saisines » sont authentiques, elles ne signifient rien.
Après les émotions créées par l’assassinat de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe, que son assassin voulait punir pour sa coopération avec des organisations liées à l’Église de l’Unification, quelqu’un a proposé d’importer la MIVILUDES au Japon et d’y créer une agence similaire. Ceux qui connaissent le fonctionnement de la MIVILUDES comprennent que le problème serait de la fermer en France, plutôt que de l’exporter à l’étranger et de répandre encore davantage les recherches erronées et les fausses informations.

Massimo Introvigne (born June 14, 1955 in Rome) is an Italian sociologist of religions. He is the founder and managing director of the Center for Studies on New Religions (CESNUR), an international network of scholars who study new religious movements. Introvigne is the author of some 70 books and more than 100 articles in the field of sociology of religion. He was the main author of the Enciclopedia delle religioni in Italia (Encyclopedia of Religions in Italy). He is a member of the editorial board for the Interdisciplinary Journal of Research on Religion and of the executive board of University of California Press’ Nova Religio. From January 5 to December 31, 2011, he has served as the “Representative on combating racism, xenophobia and discrimination, with a special focus on discrimination against Christians and members of other religions” of the Organization for Security and Co-operation in Europe (OSCE). From 2012 to 2015 he served as chairperson of the Observatory of Religious Liberty, instituted by the Italian Ministry of Foreign Affairs in order to monitor problems of religious liberty on a worldwide scale.


