« Bitter Winter » a obtenu un document intéressant sur les relations entre l’anti-sectes russe le plus en vue et la célèbre fédération anti-sectes européenne.
par Massimo Introvigne
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« Bitter Winter » a reçu un document intéressant, concernant l’histoire du mouvement anti-sectes international, un sujet qui nous intéresse profondément. Nous sommes assurés qu’il s’agit d’un document public, conservé dans des archives officielles accessibles, que l’auteur n’a jamais voulu rendre confidentiel.
Il s’agit d’un échange de courriels entre Alexander Dvorkin, l’anti-sectes le plus connu de Russie et un fervent partisan du régime de Poutine et de la guerre d’agression contre l’Ukraine, et la FECRIS, la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme.
Quelques informations de base et de contexte sont nécessaires. La FECRIS a été créée en 1994 à Paris en tant qu’organisation faîtière des mouvements anti-sectes de différents pays. Certaines des plus grandes organisations qui ont finalement adhéré à la FECRIS étaient russes. Alexander Dvorkin, un employé de l’Église orthodoxe russe qui a reçu des nominations politiques du régime de Poutine, est devenu un représentant éminent de la FECRIS et, en 2009, son vice-président.
Les 15 et 16 mai 2009, un symposium de la FECRIS a été organisé à Saint-Pétersbourg, au cours duquel M. Dvorkin est devenu vice-président de la FECRIS. Il est significatif de lire dans un communiqué de presse (qui est toujours en ligne sur le site web de Dvorkin) que « pendant la conférence, le ministre de la Justice de la Fédération de Russie, A.V. Konovalov, a rencontré la direction de la FECRIS et le recteur de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg, N.M. Kropachev, lors d’une réunion qui s’est déroulée dans le bureau de ce dernier. Une réunion similaire a également eu lieu à la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, où un groupe de participants à la conférence a été reçu par le juge de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie S.M. Kazantsev. Au cours de ces réunions, les parties ont échangé des informations et discuté des moyens de prévenir les conséquences négatives des activités des sectes totalitaires ».
M. Dvorkin est resté vice-président de la FECRIS jusqu’en 2021. Au cours de cette période, M. Dvorkin est devenu célèbre pour ses insultes à l’égard de toutes sortes de minorités religieuses. Il a créé des problèmes considérables dans les relations entre la Russie et l’Inde en attaquant la « Bhagavad-Gita » comme un livre « extrémiste » et en déclarant que « nous ne nous tromperons pas si nous disons que, du point de vue orthodoxe, Krishna est l’un des démons ». Il a qualifié l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, également connue sous le nom d’Église mormone, de « secte occulte néo-païenne grossière aux tendances totalitaires assez sérieuses ». Quant au prophète de l’islam, Dvorkin a affirmé que « soit Mahomet souffrait d’une maladie et qu’il s’agissait d’une vision délirante, soit il s’agissait d’une obsession démoniaque ; soit, une fois encore, les pères byzantins affirment qu’il était une sorte de fantaisiste qui a tout inventé et que, ce à quoi il ne s’attendait pas, ses proches y ont cru. Mais bien sûr, les combinaisons des trois sont également possibles ».
M. Dvorkin a également justifié la politique agressive de la Russie à l’égard de l’Ukraine, proclamant que des « sectes » avaient infiltré la politique ukrainienne et encouragé les tendances antirusses lors de la révolution orange de 2004-5 et de la révolution de Maidan de 2014. Il a soutenu sans équivoque et systématiquement l’agression russe contre l’Ukraine en 2014.
De 2009 à 2021, la FECRIS était consciente de l’attitude insultante de M. Dvorkin à l’égard des principales religions non chrétiennes et de son soutien aux violations des droits de l’homme et du droit international commises par le régime de M. Poutine. Pourtant, elle l’a gardé comme vice-président et lui a permis de continuer à être le principal porte-parole international de la FECRIS.
Le 24 février 2022, la Russie a envahi l’Ukraine. Une fois de plus, sans équivoque et systématiquement, comme le documente « Bitter Winter » dans de nombreux articles, Dvorkin et l’organisation parapluie anti-sectes russe dont il est le président, RATsIRS, ont soutenu Poutine et sa guerre en qualifiant les Ukrainiens de « nazis », de « satanistes », et pire encore. Bien entendu, Dvorkin est responsable non seulement de ses déclarations, mais aussi de celles du RATsIRS et de ses dirigeants, qu’il n’a jamais critiqués et dont il a même souvent fait la publicité sur son site web.
La revue « Bitter Winter » et d’autres médias ont fait état de ce soutien. Pourtant, Dvorkin est resté membre de la FECRIS, même après que, le 11 novembre 2022, 82 universitaires ukrainiens, dont la liste se lit comme un « who’s who » de l’excellence académique ukrainienne en sciences humaines, ont écrit au président français Macron pour l’exhorter à cesser le soutien des contribuables français à l’organisation. Ils ont de nouveau écrit à Macron le 17 février 2023.

Le 24 février 2023 a marqué le premier anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine en 2022. Un an, c’est long, et pourtant la FECRIS n’a pris aucune mesure contre Dvorkin et RATsIRS, si ce n’est des ajustements cosmétiques sur son site web, cachant certaines mentions des affiliés russes et des anti-sectes. Pourtant, Dvorkin et les Russes faisaient toujours partie de la FECRIS.
Cela était parfaitement cohérent avec les attitudes passées de la FECRIS. Dvorkin n’a pas commencé à soutenir la politique russe contre l’Ukraine en 2022. Il avait commencé avant même de devenir vice-président de la FECRIS en 2009 et avait continué jusqu’à la première invasion russe des territoires ukrainiens en 2014. Rien n’a vraiment changé en 2022, si ce n’est que les Ukrainiens (selon les informations que nous avons reçues d’Ukraine, y compris le président Zelenskyy lui-même) protestaient auprès de la France, mettant en péril la principale source de financement de la FECRIS, et que « Bitter Winter » et quelques autres médias revenaient sur le sujet presque chaque semaine.

Comme le montre l’échange de courriers que nous publions, ce n’est que le 24 mars 2023, plus de treize mois après la (deuxième) invasion de l’Ukraine, que la FECRIS a décidé d’exclure Dvorkin et les associations russes. Pour une raison quelconque, la FECRIS n’a informé Dvorkin de cette décision que le 24 avril, par un courrier libellé comme suit :
« Nous vous écrivons pour vous informer que lors de l’Assemblée générale du 24 mars 2023, la décision a été prise de vous exclure, ainsi que toutes les associations russes, de la liste des membres parce que vos positions ne sont pas conformes aux valeurs fondamentales de la FECRIS.
La décision prise par le Conseil d’administration de la FECRIS, confirmée par l’Assemblée générale, est désormais contraignante et définitive. En conséquence, vous n’êtes plus membre de la Fédération et n’avez donc plus aucun droit au fonds social.
Il n’y a plus de membres ou de correspondants russes au sein de la FECRIS et les associations concernées ne pourront plus faire état de leur appartenance à la FECRIS en vertu de l’article 3 du règlement intérieur ».
La réponse de Dvorkin est encore plus intéressante.


« Mesdames et Messieurs les membres du Bureau de la FECRIS,
Votre dernière lettre est le premier message que j’ai reçu de vous depuis plus d’un an. Et ce, bien que je vous aie moi-même écrit au moins deux fois pour vous demander de clarifier votre position après que mon nom a été supprimé de la liste de diffusion de la FECRIS et que mon association a été effacée de la liste des membres de la FECRIS. Tout cela s’est fait à mon insu et sans avertissement.
Puis, j’ai reçu cette lettre de votre part. Elle ne fait pas état de mes fautes, ni n’explique en quoi mes ‘positions n’étaient pas conformes aux valeurs fondamentales de la FECRIS’.
En fait, elle n’explique même pas quel type de ‘position’ j’ai assumé.
À mon insu, j’ai été accusé d’une sorte de ‘crime de la pensée’, jugé coupable par un tribunal secret, in absentia, et condamné sans même la moindre possibilité de répondre aux accusations ou de faire appel. Et ce, par des personnes qui, pendant de nombreuses années, se sont présentées comme mes collègues et mes amis. Merci, les ‘amis’!
Même les tristement célèbres tribunaux de la ‘troïka’ de Staline ont mieux tenté de préserver un semblant de légalité. La FECRIS a jugé inutile de faire semblant.
A Bordeaux, à l’automne 2021, on m’a dit que je nuisais à la FECRIS, avec un autre membre de l’AC, parce que j’attirais trop l’attention et les critiques des sectes et de leurs défenseurs, c’est-à-dire que notre travail était efficace et que c’était mauvais pour la FECRIS. La seule chose que je regrette aujourd’hui, c’est de ne pas avoir démissionné sur le champ, comme je l’avais initialement prévu.
Lorsque je vivais en URSS, j’ai dénoncé le totalitarisme soviétique. Ensuite, j’ai commencé à lutter contre le totalitarisme sectaire. Je n’ai pas cherché à adhérer à la FECRIS – c’est Friedrich Griess qui m’a convaincu d’entrer dans la Fédération. Je suppose que cela avait du sens à l’époque. À l’époque, la FECRIS était différente, et les grands membres fondateurs étaient des personnes libres, attachées à la démocratie et à la grande culture européenne. Malheureusement, ils ont disparu et ont été remplacés par des gens bien différents.
Votre lettre prouve de manière convaincante que la FECRIS est morte. Elle a trahi les idéaux et les objectifs de ses créateurs. Elle est désormais dirigée par des lâches et des racistes.
J’accuse aussi la FECRIS ! Je l’accuse d’avoir pris une décision idéologique anti-russe basée non pas sur la justice ou la vérité, mais sur un sentiment purement raciste ! J’ai été accusé et expulsé de la FECRIS sans aucune preuve, simplement parce que je suis russe.
Il y a plusieurs années, vous avez créé votre ‘bureau’ qui dirige effectivement la FECRIS en contournant les dispositions statutaires et toutes les procédures démocratiques. Le CA (Conseil d’Administration- ndt) n’est plus qu’une pure formalité qui doit entériner les décisions prises secrètement par cet organe non élu. Tout le travail de lutte contre les sectes a été retiré de l’ordre du jour. À quand remonte la dernière fois où vous avez fait quelque chose pour lutter contre une secte? Vous avez besoin de la FECRIS pour organiser vos réunions annuelles confortables, qui vous consolent et vous donnent l’impression que vous faites au moins quelque chose.
Oubliez cela. Je le répète: la FECRIS est morte. Le bureau est composé de lâches qui ont perdu leur liberté et leur indépendance depuis longtemps. Les sectes vous ont conquis. Essayez au moins d’être honnêtes avec vous-mêmes (si vous le pouvez encore) et reconnaissez-le.
Félicitations, les amis!
Je vous souhaite à tous une bonne, longue et prospère vie dans votre douillette retraite.
Bonne chance ».
Alors, pourquoi Dvorkin a-t-il été exclu? Il semble avoir tort de prétendre que le problème est le racisme anti-russe : si c’était le cas, pourquoi n’existait-il pas en 2009 et en 2014? Mais il serait difficile pour la FECRIS de soutenir que la raison était l’attitude de Dvorkin face à l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022. Cette seconde invasion était une conséquence logique de la première, en 2014, était justifiée par le même raisonnement, et soutenue par Dvorkin pour les mêmes raisons. En outre, l’invasion a eu lieu en février 2022 et la FECRIS n’a pris des mesures qu’en mars 2023.
La conclusion logique est que la FECRIS n’a pas été perturbée par le soutien de Dvorkin et du RATsIRS aux politiques anti-ukrainiennes de Poutine et au mépris des droits de l’homme de son régime. La FECRIS l’a toléré en 2009, en 2014 et à nouveau en février 2022, jusqu’en mars 2023. Lorsqu’elle a agi, la FECRIS était troublée par la possibilité que les critiques internationales, notamment ukrainiennes, lui fassent perdre ses fastueux fonds français. Quant aux procédures dénoncées par Dvorkin, qui est bien sûr un défenseur paradoxal de la « démocratie », elles éclairent un peu plus le fonctionnement sordide d’une organisation détestable.

Massimo Introvigne (born June 14, 1955 in Rome) is an Italian sociologist of religions. He is the founder and managing director of the Center for Studies on New Religions (CESNUR), an international network of scholars who study new religious movements. Introvigne is the author of some 70 books and more than 100 articles in the field of sociology of religion. He was the main author of the Enciclopedia delle religioni in Italia (Encyclopedia of Religions in Italy). He is a member of the editorial board for the Interdisciplinary Journal of Research on Religion and of the executive board of University of California Press’ Nova Religio. From January 5 to December 31, 2011, he has served as the “Representative on combating racism, xenophobia and discrimination, with a special focus on discrimination against Christians and members of other religions” of the Organization for Security and Co-operation in Europe (OSCE). From 2012 to 2015 he served as chairperson of the Observatory of Religious Liberty, instituted by the Italian Ministry of Foreign Affairs in order to monitor problems of religious liberty on a worldwide scale.



