Les activistes anti-sectes pensaient qu’en reproduisant un article de « Charlie Hebdo », ils pouvaient refuser de corriger leurs propos diffamatoires, puisque « Charlie Hebdo » n’avait pas été poursuivi. Ils se sont trompés.
par Massimo Introvigne

Ce n’est pas la première fois que l’UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu), la plus grande organisation française de lutte contre les sectes, largement financée par le gouvernement, c’est-à-dire par les contribuables français, est prise en flagrant délit de publication de propos diffamatoires, puis refuse de les corriger.
Le 2 décembre 2024, le tribunal de Marseille a ordonné à l’ UNADFI de publier sur son site Internet un droit de réponse de la CAP-LC (Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience), association accréditée par l’ONU du statut Consultatif ECOSOC , suite à un article du magazine français « Charlie Hebdo » que le groupe antisectes avait reproduit le 12 février 2014. Lors de la discussion au Parlement français de la nouvelle loi antisectes, et constatant l’opposition à cette loi de la majorité des sénateurs français, « Charlie-Hebdo » avait attribué cette opposition à la campagne de critique de la CAP-LC, qu’il accusait d’être un front de l’Église de Scientologie et d’autres « sectes ». La CAP-LC a demandé à l’UNADFI de publier son droit de réponse à l’article, mais l’association antisectes a refusé, ce qui a conduit au procès.
Bien que financée à hauteur de centaines de milliers d’euros par les contribuables français, l’UNADFI a manqué de professionnalisme au point d’envoyer à Marseille pour sa défense un avocat inscrit au seul barreau de Paris et non inscrit au barreau de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui inclut celle de Marseille. La Cour a donc conclu que la représentation juridique de l’UNADFI dans cette affaire était « irrégulière » et que « les conclusions prises et soutenues par [l’avocat] pour le compte de la défenderesse seront écartées ». On peut se demander également si l’argent des contribuables français n’a pas servi à envoyer le mauvais avocat au mauvais endroit.
D’autre part, le tribunal de Marseille a néanmoins examiné le fond de l’affaire et a conclu que le préjudice causé à CAP-LC et le droit de réponse de ce dernier n’étaient « pas sérieusement contestable » en l’espèce. Il s’agit là d’un point juridique important, qui est souvent négligé par les activistes antisectes dans plusieurs pays. Tout comme ils engagent les mauvais avocats, ils semblent souvent lire les mauvais ouvrages juridiques. Ils pensent qu’ils ne peuvent pas être condamnés s’ils reproduisent ou citent des articles publiés par d’autres (« Charlie Hebdo » dans ce cas), et que ces autres n’ont pas été poursuivis par les victimes de la diffamation. Ce n’est pas le cas. La reproduction ou la citation d’un article diffamatoire par un tiers constitue un nouveau délit, indépendamment du délit commis par ceux qui ont publié le texte incriminé en premier lieu. La victime a parfaitement le droit de poursuivre ceux qui reproduisent et citent l’article sans poursuivre la source originale.
En conséquence, même si elle a échappé au paiement de dommages et intérêts, l’UNADFI a été condamnée à publier la réponse de CAP-LC « dans les 48 heures de la signification de la présente décision, et passé ce délai sous astreinte provisoire de 50 € par jour de retard ».

La réponse se lit comme suit : « Dans l’article ‘Le Sénat aurait-il cédé à la pression’ du 12 février 2024, l’association CAP-LC, Coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience, est mise en cause.
Contrairement à ce qui est indiqué, CAP-LC n’est pas et n’a jamais été ‘une organisation européenne non gouvernementale proche de la Scientologie, qui vise à légitimer les sectes comme étant de simples collectifs convictionnels’. CAP-LC est indépendante et laïque. Elle bénéficie d’un statut consultatif à l’ONU et défend la liberté de conscience en Europe et à l’international. Elle est reconnue comme experte dans son domaine dans le monde entier. Elle existe depuis bientôt 30 ans.
En ce qui concerne les mouvements défendus par CAP-LC lorsque leurs droits fondamentaux sont menacés, l’information est aisément accessible en ligne : CAP-LC a mené, ne serait-ce que ces deux dernières années, de nombreuses pour défendre les droits des Ouïghours persécutés par le gouvernement chinois, ceux des communautés orthodoxes éthiopiennes, les droits des femmes en Arabie Saoudite, la liberté de conscience dans la Fédération de Russie, les droits des minorités du Baloutchistan au Pakistan, les droits des musulmans Ahmadis persécutés au Pakistan, les droits de nombreux prisonniers de conscience dans de nombreux pays, incluant des Ukrainiens menacés de déportation vers la Russie pour leurs opinions, des actions contre la peine de mort pour apostasie qui existe encore dans 13 pays, et des dizaines d’autres. Les Ouïghours, les femmes en Arabie Saoudite et autres minorités défendues par le CAP-LC ne sauraient être considérés comme des ’sectes’ que nous chercherions à légitimer. Du reste le terme ‘secte’ a été officiellement abandonné par les pouvoirs publics depuis plus de vingt ans, lorsque la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) a été remplacée en novembre 2002 par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES).
Dans le cadre de son objet statutaire, CAP-LC a fait part aux sénateurs et aux députés français de son opinion citoyenne sur le projet de loi sur les dérives sectaires, actuellement en cours de navette parlementaire, en raison des risques que ce texte soulève pour la liberté de conscience et la liberté d’expression – risque également identifié par le Conseil d’Etat lui-même, dans son avis motivé sur le projet de loi, s’agissant de cette dernière liberté. CAP-LC a aussi fourni aux parlementaires des données objectives en sa possession concernant le financement de la politique de lutte contre les ‘dérives sectaires’. CAP-LC a agi de façon transparente et assumée, sans exercer aucune ‘pressions insidieuses’.
CAP-LC dispose de près de 30 années d’expérience dans le domaine de la liberté de conscience et des menaces qui pèsent sur celle-ci. CAP-LC entend, à ce titre partager son expertise avec les parlementaires et prendre part au débat démocratique, dans lequel le pluralisme des opinions doit pouvoir s’exprimer librement sans être accusé ou soupçonné de ‘pressions insidieuses’ ».

Massimo Introvigne (born June 14, 1955 in Rome) is an Italian sociologist of religions. He is the founder and managing director of the Center for Studies on New Religions (CESNUR), an international network of scholars who study new religious movements. Introvigne is the author of some 70 books and more than 100 articles in the field of sociology of religion. He was the main author of the Enciclopedia delle religioni in Italia (Encyclopedia of Religions in Italy). He is a member of the editorial board for the Interdisciplinary Journal of Research on Religion and of the executive board of University of California Press’ Nova Religio. From January 5 to December 31, 2011, he has served as the “Representative on combating racism, xenophobia and discrimination, with a special focus on discrimination against Christians and members of other religions” of the Organization for Security and Co-operation in Europe (OSCE). From 2012 to 2015 he served as chairperson of the Observatory of Religious Liberty, instituted by the Italian Ministry of Foreign Affairs in order to monitor problems of religious liberty on a worldwide scale.



