BITTER WINTER

France : Comment les « victimes » des « sectes » sont fabriquées

by | Jul 15, 2024 | Documents and Translations, French

Une femme accusée d’être une « prédatrice sexuelle sectaire » a été maintenue en prison jusqu’à ce qu’elle accepte de se déclarer « victime » de la « gourelle » et devienne conférencière anti-sectes.

par Massimo Introvigne

La maison où vivaient les membres de la « secte du Parc d’Accueil ». Capture d’écran.
La maison où vivaient les membres de la « secte du Parc d’Accueil ». Capture d’écran.

Parfois, des articles destinés à dénoncer les méfaits des « sectes » produisent involontairement l’effet inverse. Le 26 juin, le quotidien français « Ouest France » a publié une surprenante interview. Il s’agit d’une vieille affaire qui a conduit la « femme gourou » ou « gourelle » (en France, le mot « gourou », à l’origine honorable, est toujours utilisé dans un sens péjoratif) de ce que l’on appelait « la secte du Parc d’Accueil » à Lisieux, à être condamnée à cinq ans de prison en 2013.

Comme dans beaucoup d’autres cas, la « gourelle », Françoise Dercle, a d’abord été dénoncée par une organisation privée anti-sectes. Le groupe a été perquisitionné le 27 juin 2007. La stratégie utilisée consistait à placer tous les membres, considérés comme des « victimes » de la « gourelle », en garde à vue, comme ce sera le cas en 2023 dans l’affaire MISA. Un officier de police a expliqué que cette mesure avait été recommandée par des psychiatres anti-sectes. Sur leur conseil, « ils placent tous les adeptes en garde à vue. Une méthode qui peut paraître surprenante, mais qui est tout à fait réfléchie : ‘Il fallait absolument exploser le groupe, faire en sorte que les adeptes ne puissent pas communiquer entre eux’. Choqués et en colère, ces derniers sont pour autant bel et bien un peu plus lucides dès le deuxième jour de garde à vue ».

Françoise Dercle. Capture d’écran.
Françoise Dercle. Capture d’écran.

Finalement, seules deux femmes restent en garde à vue : Françoise Dercle et celle qui, dans l’interview de « Ouest France », se présente sous le pseudonyme de « Coralie ». C’est là que l’histoire devient encore plus intéressante. Le groupe est accusé d’abus sexuels, y compris sur des mineurs. « Coralie » est elle-même « accusée de viols » et on lui dit qu’elle « allait prendre 15 à 20 ans ». Elle n’est pas autorisée à voir ses enfants pendant sa détention.

Au cours de ses six mois d’incarcération, toujours sous la direction de psychiatres anti-sectes, « Coralie » est transformée par les procureurs de « prédateur sexuel sectaire » en « victime ». Comme le rapporte « Ouest France », « son incarcération, pendant six mois, lui permet de prendre conscience de l’ampleur de son assujettissement. ‘La douleur de ne pas voir mes enfants a ouvert une brèche grâce à laquelle j’ai pu aller au fond de moi. La prison a été un soin’ ». En d’autres termes, on lui a appris à reconstruire son expérience comme un « lavage de cerveau ». Si elle a commis des crimes, c’est parce qu’elle a subi un « lavage de cerveau » de la part de la « gourelle », et elle n’est donc pas responsable.

Elle a dû prouver que sa « conversion », ou peut-être sa « déconversion », était réelle et est devenue conférencière dans le circuit anti-sectes. En fait, elle a été victime d’un véritable chantage et a dû choisir entre deux identités publiques. Soit elle continuait à prétendre qu’elle n’était pas une « victime », et dans ce cas elle était menacée d’une peine de prison de « 15 à 20 ans » (notez que Dercle elle-même n’a écopé que de cinq ans), soit elle « avouait » qu’elle était une « victime » et dans ce cas elle était libérée de prison, déclarée non responsable de tout crime qu’elle aurait pu commettre, et invitée à participer à l’effort de propagande contre les « sectes ».

Il est évident que si des membres du mouvement de Lisieux se sont rendus coupables d’abus sexuels, c’est à juste titre qu’ils ont été poursuivis et condamnés – même si, en France, on a toujours l’impression que les « sectaires » accusés de « lavage de cerveau » ont plus de difficultés que les autres à bénéficier d’un procès équitable. Plus intéressante que l’affaire elle-même est l’histoire de « Coralie », exemple type de la fabrication de « victimes » par un système impliquant les procureurs, les mouvements anti-sectes, les psychiatres anti-sectes et les médias. Peut-être « Coralie » n’a-t-elle jamais commis de crime, mais son cas montre que même les criminels peuvent échapper à la punition s’ils acceptent de se réinventer en « victimes de sectes » et en « conférenciers anti-sectes ».

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