Une femme accusée d’être une « prédatrice sexuelle sectaire » a été maintenue en prison jusqu’à ce qu’elle accepte de se déclarer « victime » de la « gourelle » et devienne conférencière anti-sectes.
par Massimo Introvigne

Parfois, des articles destinés à dénoncer les méfaits des « sectes » produisent involontairement l’effet inverse. Le 26 juin, le quotidien français « Ouest France » a publié une surprenante interview. Il s’agit d’une vieille affaire qui a conduit la « femme gourou » ou « gourelle » (en France, le mot « gourou », à l’origine honorable, est toujours utilisé dans un sens péjoratif) de ce que l’on appelait « la secte du Parc d’Accueil » à Lisieux, à être condamnée à cinq ans de prison en 2013.
Comme dans beaucoup d’autres cas, la « gourelle », Françoise Dercle, a d’abord été dénoncée par une organisation privée anti-sectes. Le groupe a été perquisitionné le 27 juin 2007. La stratégie utilisée consistait à placer tous les membres, considérés comme des « victimes » de la « gourelle », en garde à vue, comme ce sera le cas en 2023 dans l’affaire MISA. Un officier de police a expliqué que cette mesure avait été recommandée par des psychiatres anti-sectes. Sur leur conseil, « ils placent tous les adeptes en garde à vue. Une méthode qui peut paraître surprenante, mais qui est tout à fait réfléchie : ‘Il fallait absolument exploser le groupe, faire en sorte que les adeptes ne puissent pas communiquer entre eux’. Choqués et en colère, ces derniers sont pour autant bel et bien un peu plus lucides dès le deuxième jour de garde à vue ».

Finalement, seules deux femmes restent en garde à vue : Françoise Dercle et celle qui, dans l’interview de « Ouest France », se présente sous le pseudonyme de « Coralie ». C’est là que l’histoire devient encore plus intéressante. Le groupe est accusé d’abus sexuels, y compris sur des mineurs. « Coralie » est elle-même « accusée de viols » et on lui dit qu’elle « allait prendre 15 à 20 ans ». Elle n’est pas autorisée à voir ses enfants pendant sa détention.
Au cours de ses six mois d’incarcération, toujours sous la direction de psychiatres anti-sectes, « Coralie » est transformée par les procureurs de « prédateur sexuel sectaire » en « victime ». Comme le rapporte « Ouest France », « son incarcération, pendant six mois, lui permet de prendre conscience de l’ampleur de son assujettissement. ‘La douleur de ne pas voir mes enfants a ouvert une brèche grâce à laquelle j’ai pu aller au fond de moi. La prison a été un soin’ ». En d’autres termes, on lui a appris à reconstruire son expérience comme un « lavage de cerveau ». Si elle a commis des crimes, c’est parce qu’elle a subi un « lavage de cerveau » de la part de la « gourelle », et elle n’est donc pas responsable.
Elle a dû prouver que sa « conversion », ou peut-être sa « déconversion », était réelle et est devenue conférencière dans le circuit anti-sectes. En fait, elle a été victime d’un véritable chantage et a dû choisir entre deux identités publiques. Soit elle continuait à prétendre qu’elle n’était pas une « victime », et dans ce cas elle était menacée d’une peine de prison de « 15 à 20 ans » (notez que Dercle elle-même n’a écopé que de cinq ans), soit elle « avouait » qu’elle était une « victime » et dans ce cas elle était libérée de prison, déclarée non responsable de tout crime qu’elle aurait pu commettre, et invitée à participer à l’effort de propagande contre les « sectes ».

Il est évident que si des membres du mouvement de Lisieux se sont rendus coupables d’abus sexuels, c’est à juste titre qu’ils ont été poursuivis et condamnés – même si, en France, on a toujours l’impression que les « sectaires » accusés de « lavage de cerveau » ont plus de difficultés que les autres à bénéficier d’un procès équitable. Plus intéressante que l’affaire elle-même est l’histoire de « Coralie », exemple type de la fabrication de « victimes » par un système impliquant les procureurs, les mouvements anti-sectes, les psychiatres anti-sectes et les médias. Peut-être « Coralie » n’a-t-elle jamais commis de crime, mais son cas montre que même les criminels peuvent échapper à la punition s’ils acceptent de se réinventer en « victimes de sectes » et en « conférenciers anti-sectes ».

Massimo Introvigne (born June 14, 1955 in Rome) is an Italian sociologist of religions. He is the founder and managing director of the Center for Studies on New Religions (CESNUR), an international network of scholars who study new religious movements. Introvigne is the author of some 70 books and more than 100 articles in the field of sociology of religion. He was the main author of the Enciclopedia delle religioni in Italia (Encyclopedia of Religions in Italy). He is a member of the editorial board for the Interdisciplinary Journal of Research on Religion and of the executive board of University of California Press’ Nova Religio. From January 5 to December 31, 2011, he has served as the “Representative on combating racism, xenophobia and discrimination, with a special focus on discrimination against Christians and members of other religions” of the Organization for Security and Co-operation in Europe (OSCE). From 2012 to 2015 he served as chairperson of the Observatory of Religious Liberty, instituted by the Italian Ministry of Foreign Affairs in order to monitor problems of religious liberty on a worldwide scale.


